Chroniques

par samuel moreau

Richard Wagner
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme

1 DVD Deutsche Grammophon (2005)
00440 073 4041
la mise en scène imaginée par Harry Kupfer

Au sortir de la composition des cinq actes de Rienzi – œuvre aux « dimensions immodérées » qu'il jugera bientôt démodée –, Wagner se lance dans celle d'un drame romantique plus intime. Inspiré par un épisode des Mémoires de von Schnabelewopski (1831), l'ouvrage de Heinrich Heine, mais aussi par Hans Heiling (1833), l'opéra de Marschner, le musicien rédige lui-même le livret, comme il en a déjà l'habitude. Tout juste arrivé à Paris, sans le sou, c'est un scénario conçu dans l'esprit de la capitale qu'il livre avec Der fliegende Holländer. Effectivement, le livret est accepté par le directeur de l'établissement… mais pour en confier à un autre l'habillage musical. Pour la postérité, s'étant réservé les droits pour l'Allemagne, Wagner put heureusement associer son nom à une œuvre composée en sept semaines et créée à la Hofoper de Dresde, le 2 janvier 1843.

Au XVIIIe siècle, dans un petit port de pêche norvégien, un étrange personnage débarque. C'est le Hollandais volant, un capitaine de bateau, condamné à naviguer éternellement, et qui ne peut accoster que tous les sept ans. Si, durant une de ces escales, il trouve une femme qui puisse l'aimer fidèlement jusqu'à la mort, il sera délivré. Senta, la fille du capitaine Daland, connaît la légende de ce damné. Son esprit romantique l'égarant, elle s'est donnée pour mission d'être cet amour salvateur, au mépris des avances du jeune chasseur Erik et au péril de sa vie.

De 1978 à 1985 (année de cette captation), la mise en scène imaginée par Harry Kupfer fut reprise trente-huit fois, été après été, au Festival de Bayreuth. L'esprit moderne de cette production a bien sûr soulevé des protestations, tout autant qu'il fascinait. Ainsi, dès l'Ouverture, le plateau s'anime et Senta, s'agrippant bientôt au portrait du Hollandais qu'elle ne lâchera plus, est désignée comme le personnage principal de l'histoire. Nous sommes dans un huis clos où des femmes soumises, cernées de murs de briques, inventent des légendes pour échapper à leur univers petit-bourgeois. Du rêve à l'hystérie, il n'y a qu'un seuil que Senta franchit allégrement, nous faisant participer à sa tempête intérieure. De même, les fantômes du troisième acte perturbent notre vision traditionnelle de l'œuvre.

Omniprésente sur les planches ou sur un échafaudage en surplomb de la scène, Lisbeth Baslev fait vivre son personnage avec beaucoup d'expressivité. Le chant est égal et le legato très nourri. Simon Estes (le Hollandais) n'est pas en reste : inquiétant, faisant preuve d'une certaine félinité, le baryton nuance une voix puissante, riche et d'une belle couleur. Robert Schunk compose quant à lui un Erik peu sympathique et colérique, en accord avec sa réputation d'homme violent. À part quelques soucis vers la fin, le chant est posé, les aigus plutôt souples. Enfin, Matti Salminen incarne un Daland sonore, qui manquerait de nuances si son personnage n'était d'une seule pièce. En fosse, Woldemar Nelsson dirige un orchestre très équilibré, mais pas toujours suffisamment expressif. Malgré cette dernière réserve et une déperdition sonore due à une mauvaise prise de son, Deutsche Grammophon nous offre un spectacle des plus prenants.

SM