Chroniques

par samuel moreau

Richard Strauss
Die Frau ohne Schatten | La femme sans ombre

1 DVD TDK (2007)
DVWW-OPFROS
Die Frau ohne Schatten, opéra de Strauss

Die Frau ohne Schatten voit le jour avec succès au Staatsoper de Vienne, le 10 octobre 1919. Une nouvelle fois, Richard Strauss fit confiance au talent de Hugo von Hofmannsthal pour un livret élaboré dans l'esprit composite fin de siècle, inspiré de nombreux textes – légendes indiennes, chinoises et arabes, Mille et une nuits, frères Grimm, Goethe, etc. – où se mêlent des mythes chers au romantisme allemand – être surnaturel en quête d'humanité, épreuves à surmonter et, bien sûr, perte symbolique de l'ombre. Grâce à une correspondance entretenue entre les deux artistes, nous connaissons la genèse d'une gestation somme toute assez longue. Ainsi, le 20 mars 1911, l'écrivain présente une des héroïnes de son conte enchanté :

« Il s'agit simplement d'une femme bizarre, qui possède au fond une très bonne âme, une femme insaisissable, capricieuse, dominatrice, et pourtant sympathique, ce serait même le personnage principal, et l'ensemble aurait mille couleurs, un palais et une cabane, des prêtres, des bateaux, des flambeaux, des galeries dans le roc, des chœurs, des enfants (...) » ; puis, le 25 juillet 1914, il attire l'attention du compositeur sur le personnage de l'Impératrice : « Cette dernière n'a guère de texte et pourtant, elle est le personnage principal. Cela, vous ne devez jamais le perdre de vue. Elle devient humaine, tel est le pivot de la pièce ; c'est elle, la femme sans ombre, et pas l'autre ». Effectivement, pantin de porcelaine au départ, l'Impératrice de Luana DeVol prend toute sa place à l'Acte III, avec une voix onctueuse, large et agile à la fois – de celle qui anime les Freia et Turandot d'exception.

En 1992, Wolfgang Sawallish fêtait plus de vingt ans de carrière à la tête du Bayerisches Staatsorchester et de collaboration avec l'orchestre de la NHK de Tokyo. Pour l'occasion, la production munichoise de son opéra préféré fut confiée à une équipe japonaise : la mise en scène revint au comédien Ennosuke Ichikawa [lire notre chroniquedu 23 décembre 2002 et notre critique du DVD Le Coq d'or] qui initia les chanteurs à des mouvements scéniques très subtils, inspiré du kabuki, les décors à Setsu Asakura et les costumes à Tomio Mohri. Les artistes européens remercièrent publiquement Sawallich pour cette collaboration stimulante, « à une époque où les bons metteurs en scène se font rare ». C'est dire si Ichikawa a non seulement une profonde connaissance de l'œuvre, mais aussi l'art de la théâtralité (sensualité des couleurs, personnages attachants). Quant à la musique, on se réjouit d'une direction tonique quoique relativement sage, n'osant pas les contrastes, et d'un orchestre très équilibré mais aux cordes malheureusement fatiguées par le décalage horaire – ou intoxiqué au sushi, comme le violon solo sur Vater, bist du's ?

Filmés les 8 et 11 novembre au Théâtre de Nagoya, les chanteurs trahissent quelques carences d'une représentation à l'autre : teinturière enfantine à la conduite du chant assez brutale, Janis Martin finit par s'assouplir (Acte I) ; dotée d'un grave très présent avantageusement poitriné, Marjana Lipovšek surjoue parfois son personnage de nourrice, s'abandonne à quelques ports de voix – mais que de souplesse dans cette prestation, au point de faire oublier l'effort ! – (Acte II) ; enfin, Barak très nuancé au phrasé parfait, Alan Titus s'assourdit tandis que Peter Seiffert, en Empereur, nasalise progressivement un chant d'abord clair, évident, direct (Acte III). Mais on sait que la partition de ce dernier opéra romantique laisse peu de repos aux interprètes, et ces quelques remarques paraissent bien futiles en comparaison de l'engagement général. La découverte de cette version est donc vivement encouragée.

SM