Chroniques

par anne bluet

Richard Strauss
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose

1 coffret 3 CD Naxos Historical (2003)
8.110277-79
Richard Strauss | Der Rosenkavalier

Merci à Naxos de restituer la soirée télévisée du 21 novembre 1949, en direct du Metropolitan Opera ! C'est en effet un Chevalier à la Rose tout à fait exceptionnel que le mélomane pourra apprécier grâce à ce coffret, réunissant une distribution magnifique, sous l'excitante baguette de Fritz Reiner. C'est déjà presque tout dire que de citer le chef...

Dès les premières mesures du prélude de l'Acte I, Reiner frappe par la tonicité de son approche, un grand art des nuances. La partition avance comme d'elle-même, dans une jubilation particulière. Quel panache ! Il y a la fougue, la violence, l'énergie toute personnelle que l'on a entendu avec bonheur dans ses enregistrements d'Elektra et de Salomé, avec élégance et sensualité, de surcroît. Les phrases sont volontiers sucrées, et conjuguent des couleurs subtiles sans détendre le temps. Le chef hongrois n'est pas qu'un inventeur de climat : il accompagne génialement les chanteurs, se faisant tour à tour maître ès espièglerie (pour Du bist mein Bub'... Acte I, par exemple), merveilleusement expressif (Wollen Euer Gnaden leicht den Jungen Herrn da...), finement napolitain (air du chanteur italien), ironiquement lourdaud (entrée du Baron Ochs), d'une tendresse infinie qui laisse rêveur dans l'air de la Maréchale à la fin du premier acte, suivant la chanteuse pas à pas. Fritz Reiner était de ces musiciens capables d'imposer leur lecture à la partition tout en composant avec les autres interprètes, en les entraînant dans leurs options ou en acceptant la rencontre de désirs divergents : le résultat est tout simplement splendide. Enfin, dans le prélude de l'Acte III, l'orchestre jouit d'un relief passionnant, où chaque trait rebondit, réussissant à faire de cette œuvre quelque chose de moins attendue, de moins classique que ce qu'elle est vraiment, dans un climat qui dépasse la mondanité habituelle, y faisant sonner à la moindre occasion des réminiscence de Salomé et Elektra, mais aussi des indices de La Femme sans Ombre (qui devait être composée sept ans plus tard).

Cette prise pétille : chacun joue à cent à l'heure, et le public réagit volontiers. Risë Stevens propose un Octavian attachant grâce à un timbre chaleureux, parfaitement projeté, souvent très sonore, parfois saillant, toujours attendrissant et follement drôle dans le dernier acte. C'est Eleanor Steber qui assumait le rôle de la Maréchale, à New York ce soir-là ; si la voix peut paraître un peu aigre et l'émission assez nerveuse au début de la représentation, elle parvient peu à peu à déployer un lyrisme contenu tout à fait touchant. Et c'est le miracle de ce disque : on n'a pas besoin d'une mise en scène, on entend le jeu, l'interprétation, le personnage, comme jamais. Steber retrouve tous ses moyens à la fin de l'acte, évoquant avec une mélancolique nostalgie la jeunesse perdue jusqu'à devenir angoissante. On rit du sifflement asthmatique du Notaire – Gerhard Pechner –, et l'on a envie d'applaudir Giuseppe di Stefano, puccinien à souhait, dont le timbre moelleux et caressant, les aigus charnus qui gardent une souplesse invraisemblable, servent parfaitement un Chanteur Italien de grande classe. Ochs était confié à Emmanuel List un peu poussif, souvent surfait, appuyant sans doute trop la vulgarité du personnage ; certes, la voix est vaillante, puissante, présente, mais parfois approximative et fatiguée. De même la Sophie d’Erna Berger reste-t-elle maladroitement frêle, accusant un vieux style qu'on pourra trouver exquis comme insupportable. La distribution des innombrables rôles secondaires de l'opéra est d'une efficacité rare. Les ensembles bénéficient d'un équilibre somptueux. Pour tout cela, cet enregistrement demeure une référence absolue !

AB