Chroniques

par jo ouaknin

Reinhard Keiser
Sieg der fruchtbaren Pomona | Victoire de la féconde Pomone

1 coffret 2 CD CPO (2014)
777 659-2
Thomas Ihlenfeldt joue Sieg der fruchtbaren Pomona (1702) de Keiser

Si l’on croise bien souvent le nom de Reinhard Keiser (1674-1739) à lire les circonstances qui firent l’opéra baroque allemand, on a nettement moins d’occasions d’entendre son art. De ce grand ordonnateur de la musique à Hambourg, René Jacobs avait fait découvrir le fastueux Croesus il y a une quinzaine d’années, avec une distribution de rêve (Kwangchul Youn, Werner Güra, Roman Trekel, Dorothea Röschmann, etc.). Huit ans avant ce Croesus, Keiser composait Sieg der fruchtbaren Pomona (traduire Victoire de la féconde Pomone), s’inspirant de la mythologie pour célébrer l’anniversaire de Friedrichs IV, roi du Danemark, à travers cette Operetta ou Operettchen (à comprendre non pas comme l’invention du genre léger que désigne ce terme aujourd’hui, mais comme un petit opéra, tout simplement, dont les deux heures s’opposaient aux quatre ou cinq des grandes tragédies chantées de l’époque).

Le plateau vocal ici réuni ne répète pas le miracle de Jacobs. Melanie Hirsch campe une Pomone chaleureuse, d’une belle égalité de teinte, dotée d’un souffle qui autorise des enchaînements que d’autres ne réussiraient pas. On ne peut pas en dire autant de Doerthe Maria Sandmann, Flore à la voix charmante mais assez mal utilisée ; les ornements sont habiles, les intervalles très exactement négociés, mais la ligne inexistante et la diction approximative. En revanche, le mezzo-soprano Olivia Vermeulen impose un gosier plus dense et un timbre rond, un chant fort bien conduit, jouissant de belles possibilités expressives. Passons sur une Vertu qui minaude d’un aigu brutal et jamais stable, Julian Podger offrant un Mercure nettement plus probant : la diction est exemplaire, la clarté stimulante et l’esprit de l’interprétation est idéal. Le ténor velouté de Knut Schoch avantage Zéphyr d’une souplesse égale sur toute la tessiture. Au chapitre des bonnes choses, il faut aussi compter les barytons Raimonds Spogis, Bacchus évident qui porte le sourire dans la voix, et Jörg Gottschick, Vulcain très impacté rendu plus aérien par un legato exquis.

Malgré ces disparités, deux composantes tiennent fermement cet enregistrement (effectué à la Villa Siemens, Berlin, à la fin de l’été 2010). D’abord la présence superlative de l’excellent Jan Kobow qui prête son art infaillible dans les rôles de Jason et de Jupiter. Enfin l’interprétation infiniment délicate de Thomas Ihlenfeldt à la tête de sa Capella Orlandi de Brême : toujours gracieux, le ton est doux, humblement gentil, avec cet usage omniprésent des bois, fort tendre, magnifié par une précision qu’on souhaiterait constater plus souvent chez nos « baroqueux », que ce soient la flûte pastorale ou les chansons du hautbois, si savoureuses. Bien sûr, la danse est de la fête, enlevée mais ans excès, même lorsque le clavecin s’y fait rieur. À découvrir, donc !

JO