Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Quatuor Psophos
Berg – Schönberg – Webern

1 CD Zig-Zag Territoires (2007)
ZZT 070502
récital Quatuor Psophos | Berg – Schönberg – Webern

Du jeune Quatuor Psophos, on se souvient avec plaisir du fort beau CD consacré à Mendelssohn, paru chez le même éditeur. On retrouve aujourd'hui les quatre talentueuses dames au service des principaux acteurs de la seconde école de Vienne, dans un programme s'ouvrant par les entrelacs lyriquement tissés de l'encore romantique Langsamer Satz écrit par un Webern de vingt-deux ans, en 1905. Somptueusement respirée, l'approche s'en avère volontiers contrastée, donnant à cette dizaine de minutes des allures de poème symphonique dont un auditeur imaginatif pourrait tôt trouver l'histoire.

De la Lyrische Suite de Berg, écrite une vingtaine d'années plus tard, et dont Esteban Buch a judicieusement tenté de révéler le secret, les quartettistes livrent une interprétation avantageusement inspirée. Après un Allegretto giovale moins farouche que celui entendu au concert, il y a un peu plus de trois ans, l'Andante amoroso se fait tout de mystère, comme le désir, le retour du thème (mesure 81) bénéficiant d'une sonorité moelleuse, contrairement à la clarté qui caractérisait son exposition préalable (à l'octave du violon). Le relief est remarquable, dans une proportion qui soigneusement ne déroge jamais de l'intime. Le troisième mouvement se fait alors véritable froissement d'ailes où se cisèle soudain un Trio estatico souverainement plaintif dont on notera l'extrême précision. Car il faut savoir que cet épisode est redoutable, qu'il regorge d'indications et de pièges ; nos artistes en transcendent comme peu la complexité. S'ensuit, un Adagio appassionato plutôt leste qui gagne peu à peu une épaisseur plus orchestrale (il n'est sans doute pas indifférent que Berg lui-même ait élu cette partie dans ces Trois mouvements de la Suite Lyrique) ; le final molto adagio est un modèle de rondeur et de délicatesse, jusqu'aux accords conclusifs, savamment flûtés comme ceux d'un orgue baroque. Le choc est d'autant plus grand avec le surgissement hargneux du Presto delirando à la radicalité parfois presque bruiteuse, à l'instar des Altenberg Lieder achevés douze ans plus tôt, accusant plus encore une facture orchestrale que les musiciennes soutiennent avec une inventivité inénarrable. Enfin, les pizz' introduisent un Largo desolato digne de ce nom, pénible constat dont l'utopique aspiration, après un ultime accès de résistance, mais déjà plus de révolte intérieure, s'étiole tristement dans un morendo d'une infinie sensibilité.

C'est dix ans après cette Suite de son cadet que Schönberg produit en quatre mois son dernier Quatuor à cordes, soit l'Opus 37 n°4, que créeront les Kolisch à Los Angeles dans les premiers jours de 1937. Le Viennois devenu Étasunien en projetait un cinquième dont il jeta quelques mesures à la veille de la seconde moitié du siècle, mais que la mort ne lui laissera pas loisir de mener à terme. Curieusement, sous les archets des Psophos, l'œuvre paraîtra plus classique que la précédente. Une linéarité moins audacieuse régit l'Allegro initial, exempt d'expérimentations timbriques. Aussi le Comodo se montre-t-il le fruit de la maturité dodécaphonique, avec son accentuation systématique qui ne se circonscrit d'elle-même. Ainsi, après les adieux de Webern à une certaine façon de faire de la musique, la joyeuse tourmente du chercheur Berg dans ses (amoureuses) contradictions, le Largo de l'Opus 37, surnageant avec grâce au-dessus de ses propres ténèbres, marque-t-il peut-être la fin d'une époque. On admirera une fois de plus la clarté avec laquelle Ayako Tanaka et Bleuenn Le Maître aux violons, Cécile Grassi à l'alto et Ingrid Schoenlaub au violoncelle livrent l'Allegro conclusif, une clarté intrinsèque qui semble indiquer une voie non pas au sérialisme total du futur proche, mais à certaines retrouvailles qu'il connaîtrait plus tard avec une sensualité qu'on pourrait peut-être dire polie, comprise dans la conception structurelle elle-même.

BB