Chroniques

par anne bluet

récital Kai Wessel
Agricola – Graun – Krause – Marpug – Nichelmann – Sack – Schale

1 CD Assai (2003)
222302
récital Kai Wessel (contreténor) | Agricola – Graun – Krause – etc.

Avec cet enregistrement, Assai propose des raretés fort intéressantes, qui plus est dans une interprétation soignée et expressive. Johann Philipp Sack est né le 11 novembre 1722, à Harzgerode, dans une famille au service du Prince. Il reçoit des bases de formation musicale grâce au chœur de son école. Bien plus tard, il enseigne à son tour (1747), à la maîtrise de la cathédrale de Berlin – dont il deviendra également l'organiste (1756) et le directeur. Sa réputation de claveciniste et de compositeur aida aussi à le faire connaître mais le public et l'histoire en général semblent avoir peu remarqué sa disparition prématurée, le 14 septembre 1763 (à l'âge de quarante et un ans).

Sack fit partie de la première École Berlinoise du Lied, autour de 1750. Le credo de ce groupe de musiciens était de retrouver un chant simple et naturel, loin de l'aria italienne dominant à l'époque. Plus facile d'accès, le Lied strophique pénètre alors dans les salons bourgeois. Pour le compositeur, cependant, le travail n'est pas facile, le problème étant de trouver une mélodie s'accordant au contenu de chacune des strophes. Le programme de ce disque permet d'écouter les productions de plusieurs artistes ayant tous défendu cette École :

Johann Friedrich Agricola, né en 1720 à Dobitschen (Saxe-Altenbourg) et élève de Bach à Leipzig, qui s'installera en tant qu'organiste à Berlin dès 1741, et dont l'opéra comique Il convinto del Filosofo nell' amore exécuté à Postdam dix ans plus tard lui valut d'être admis compositeur officiel de la Cour de Frédéric. Il écrivit de nombreuses cantates d'église, des intrada instrumentales et des Lieder. Il publia également des essais théoriques et critiques sous le pseudonyme de Flavio Anicio Olibrio, son propre nom Agricola résultant d'une mode en vigueur à l'époque de tenter de traduire un patronyme allemand en latin (sans doute Bauer, Schneider, Schnitter, Hausmann, Huusman, ou encore Huysman à l'origine) ;

Friedrich Wilhelm Marpurg, né en 1718 à Seehof (Brandenbourg) qui fonda à Berlin l'un des tout premiers périodiques de critique musicale, Der kritische Musicus an der Spree (La critique musicale de la Spree, du nom de la rivière qui traverse Berlin). Sa carrière avait commencé en tant que secrétaire particulier à Paris, et c'est à ce titre qu'il fut employé par Voltaire et Rameau dont il devait ensuite répandre les théories et l'esthétique en Allemagne. Il composa moins qu'il polémiqua, contribuant activement dans les années cinquante à l'édition deL'Art de la Fugue de Bach ;

Johann Carl Heinrich Graun, né en 1701 à Wahrenbrück, qui devait connaître une immense carrière, d'abord en tant que chanteur, puis vers la quarantaine en tant que compositeur au service de Frédéric, puis Kappelmeister à la Cour Impériale. Les trois frères Graun furent d'une productivité débordante. Johann Carl Heinrich fondera à Berlin une compagnie d'opéra engageant des musiciens venus d'Italie avec laquelle il fera représenter bon nombre de ses trente-cinq opéras, dont quelques-uns furent d'ailleurs écrits sur des livrets du Prince Frédéric (citons par exemple son Montezuma, ou encore Cesare e Cleopatra qui inaugurera l'Opéra de Berlin en 1742). Il composa des Lieder, bien sûr, mais aussi des Passions, cantates, oratorios, messes, motets qui le rendirent célèbre, de même qu'une Bataille de Prague pour clavecin. Il fut considéré, avec Johann Adolf Hasse, comme l'un des plus grands musiciens de son temps. Der Tod Jesu écrit en 1760 sera donné systématiquement pendant la semaine Sainte à Berlin durant presque un siècle, remplacé peu à peu par la Matthäus Passion de Bach ;

Christoph Nichelmann, né en 1717 à Treuenbrietzen (en Brandenbourg) et lui aussi élève de Bach à Leipzig à partir de 1730, avant de perfectionner son art auprès de Telemann, Quantz, Keiser, Graun et Mattheson. Grand claveciniste, il entrera au servie de Frédéric dont il deviendra l'accompagnateur favori (le prince jouait de la flûte). À ce titre, il côtoiera Carl Philipp Emmanuel Bach. Son style, exploité dans des sonates et concerti brillants, annoncera celui plus tardif de Muzio Clementi.

On y entendra également des musiciens plus discrets et presque totalement oubliés de nos jours – comme Sack lui-même –, tels Christian Gottfried Krause et Christian Friedrich Schale (successeur de Sack au poste d'organiste). À cette variété d'artistes s'ajoute celle de leurs œuvres : mélodies avec une basse chiffrée, Lieder avec une écriture à trois voix, d'autres composées d'interludes, etc.

Le contreténor Kai Wessel s'empare des poèmes de ces Lieder avec une sensibilité très communicative. Il fit ses études au Conservatoire Supérieur de Lübeck, travaillant ensuite avec la plupart des chefs baroques (Christie, Harnoncourt, Herreweghe, Kuijken, Koopman, etc.). La phrase est toujours bien menée, avec un grand sens musical, même si quelques graves restent un peu maladroits. Christoph Hammer l'accompagne sur une copie d'un pianoforte Silbermann de 1749 (conservé au musée de Nürnberg) effectuée par l'atelier de Michael Walker.

AB