Chroniques

par jo ouakin

récital Fabien Armengaud
Couperin – Du Mont – Hardel – Mézangeau – Monnard – etc.

1 CD Encelade (2020)
ECL 1903
Fabien Armengaud nous emmène dans le XVIIe siècle clavecinistique

Sur un clavecin contemporain qu’Alain Anselm signait en 2014 « dans l’esprit des instruments français des dernières décennies du XVIIe siècle et plus particulièrement ceux du facteur toulousain Vincent Tibaut » – né en Franche-Comté vers 1647, installé dans la capitale occitane en 1673, où il décèderait en 1691 ; un de ses clavecins est conservé à Paris (Musée de la musique), un autre à Bruxelles (Musée des Instruments de musique), datant respectivement de 1691 et de 1679, et un troisième, de 1681, fait partie de la collection du Château de Bény-sur-Mer (Calvados) appartenant à l’éditeur Yannick Guillou –, Fabien Armengaud enregistrait en février 2020 ce fort beau programme, au Domaine de la Pailleterie d’Amilly (Loiret), bien connu pur ses académies baroques d’été.

Outre ses fonctions d’organiste à Saint-Nicolas des Champs, à Saint-Jacques de la Boucherie et à Saint-Martin des Champs, ainsi que de joueur d’épinette à la Chambre du Roi et de claveciniste de Madame – Henriette d’Angleterre (1644-1670), belle-sœur du Soleil et petite-fille du Vert Galant, Étienne Richard (ca.1621-1669) fut le maître de musique de Louis XIV, monarque bien connu pour son amour des arts auxquels il n’hésita pas à s’adonner lui-même, en tant que danseur surtout (sur ce sujet, on lira avec intérêt l’ouvrage de Philippe Beaussant, publié chez Payot 1999) – ce sont principalement des mouvements de danse qui forment les recueils pour clavecin. Dans la notice de son CD, Fabien Armengaud ne néglige pas les questions de bonne attribution des œuvres de Richard présentes dans le manuscrit André Bauyn (BNF) : Pierre, son fils Charles ou son frère Étienne ?... « il est raisonnable de penser que ces pièces sont de la main d’Étienne Richard », conclut-il, manière de convenir que ce n’est pas tout à fait certain.

Autour de trois Suites de Monsieur Richard, professeur du Roy Soleil, l’artiste a rassemblé plusieurs pages de maîtres français de l’époque, à l’exception de l’aîné Mézangeau (ca.1569-1638) et d’un Italien, Luigi Rossi (1597-1653), celui-là même dont le fameux Orfeo [lire notre chronique du 4 février 2016] fit grande sensation lors de sa création au Palais Royal – ainsi que raconté par Christian Dupavillon dans Naissance de l’opéra en France : Orfeo, 2 mars 1647 (Fayard, 2010).

La pertinence de ce délicat spicilège, majoritairement en mode mineur, le dispute à la subtilité d’interprétation. Armengaud en transmet ingénieusement les affects. Nous découvrons la mélancolie de la Suite en ré mineur où, après la pompe contenue du Prélude, l’Allemande paraît pure méditation, ponctuée par un Double qui ne manque pas de panache, pour s’achever dans une Courante très enlevée. Les trois pages de Suite en sol mineur font, au contraire, aborder une inspiration moins sombre : l’Allemande est sereine, la Courante joueuse et la Sarabande plutôt réservée. Avec la Suite en sol mineur, le musicien entre plus avant dans le méditatif. Prélude errant, d’une clarté parfaite, Allemande très pure, brève Courante à l’humeur vive, prolongée sur une Courante et Double plus aimable, mène à une triste Sarabande dont l’intériorité touche au cœur.

Avec ces trois opus et deux gigues qui parsèment le programme, nous entendons quelques grandes signatures d’alors, qu’il s’agisse d’Henry Du Mont (1610-1684), Louis Couperin (1626-1661), Jean-Henry d’Anglebert (1629-1691) ou Joseph Chabanceau de La Barre (1633-1678). Le plus jeune compositeur de cette assemblée est Jacques Hardel (1643-1678), professeur de clavecin de la fille d’Henriette d'Angleterre et musicien du duc d’Anjou, Philippe d’Orléans (1640-1701), frère cadet du roi. Du brillant élève de Jacques Champion de Chambonnières (1602-1672) sont données une Gavotte entêtante, une gracieuse Courante, très clarteuse, et la Suite en ré mineur que parcourent des climats contrastés.

On ne se lasse pas d’écouter ce disque, invitation dans le Grand Siècle !

JO