Chroniques

par hervé könig

récital Elena Vassilieva
Raskatov – Shoot – Tcherepnine – Vustin – Weinberg

1 CD Claves (2003)
50-2303
récital Elena Vassilieva (soprano)

La cantatrice Elena Vassilieva et le compositeur Alexandre Raskatov sont à l'origine de ce disque qui propose d'écouter cinq œuvres pour soprano et quatuor à cordes, reflets de la musique russe écrite dans les dernières années du XXe siècle.

Mieczyslaw Weinberg est né en 1919 à Varsovie où son père était musicien de théâtre. Après des études de composition à Minsk, il poursuit sa formation à Moscou auprès de Dmitri Chostakovitch. Comme celui-ci et beaucoup de ses confrères de l'Est, il a dû balancer longtemps entre stratégie politique et intégrité artistique, d'où une musique souvent néo-classique, aux emprunts folkloriques, mais qui laisse la place à l'expressivité et aux émotions. Il est déplacé à Tashkent en 1943, alors que sa famille était massacrée par les nazis en Pologne. Inspiré par le poète Mikhaïl Lermontov, Les Trois palmiers nous entraîne dans une Arabie aux ambiances variées. Pourtant, le climat est plus celui de la musique de Chostakovitch, avec sa longue et douloureuse phrase initiale de violoncelle solo, et le caractère tour à tour désolé et colérique de ses contrastes. Elena Vassilieva donne ici une vingtaine de minutes d'un chant sensible toujours habité d'une émotivité à fleur de peau.

Suit une mélodie d'Ivan Tcherepnine (1943-1998), proche des univers de Benjamin Britten et de Sándor Veress. Le compositeur a dirigé durant un quart de siècle l'Electronic Music Studio de l'Université de Harvard, après avoir été l'élève de Pierre Boulez et de Karlheinz Stockhausen, entre autres. Son œuvre There was no wind (ici dans sa version française, Il n’y avait pas de vent) témoigne de nombreuses influences : esthétique sérielle, éléments purement folkloriques, etc. Après la tension et l'agitation du début, elle développe une vocalise bouche fermée qui vient ironiquement contrebalancer une danse lente étrangement Renaissance, avant de faire tournoyer un air vaguement oriental, pour clore la pièce dans un apaisement relatif. Les membres du Quatuor Sine Nomine jouent cette page avec un enthousiasme volontiers lyrique ; les larmes de « ... ma chère Varioushka... » sont déchirantes.

Vladislav Shoot est né en Ukraine en 1941. Ses Quatre Chants (sur des textes de Percy Bysshe Shelley, le célèbre poète anglais mort naufragé en 1822) montrent son goût pour la mélodie un brin néo-romantique mais aussi pour l'expressivité instrumentale, proche du sérialisme. Cette composition cyclique – Music, To the Moon, A Dirge, A Lament – est paradoxalement teintée de mélancolie, même dans les passages les plus dramatiques. En anglais, le soprano chante Music avec la nostalgie requise, sur une lancinante déclamation du quatuor, non sans rappeler certaines mélodies d’Elgar. Un climat plus proche de Berg s'installe avec To the Moon, tandis que les nauséeux glissandi d’A Dirge rappelleront les cordes de Xenakis. Dans A Lament, on retrouvera Webern, sans la rigueur aphoristique, toutefois. Elena Vassilieva y est dramatique sans théâtre, tout simplement bouleversante.

Alexandre Vustin est né à Moscou en 1943. Atonalité ou Sprechgesang ne font pas peur au compositeur qui demande même de chanter aux instrumentistes de son Petit Requiem (1994), les transformant ainsi en intercesseurs entre monde matériel et spirituel. Les violons sont d'ailleurs placés sur un pied d'égalité avec la voix, pour accentuer la mélodie et la spiritualité de cette œuvre chantée en latin. Le soprano ouvre la cérémonie d'une phrase langoureuse pianissimo avant un ostinato rythmique alterné d'ornements sur des psalmodies plus calmes. La voix est utilisée dans le chant, le dire, le chuchotement, l'onomatopée, le souffle. Le Dies irae est un balancement infernal d'accord de cordes accompagnant un récitatif rapide autant qu'austère du soprano. Pour Recordare, Jesu pie, le compositeur a choisi un climat nettement plus mélancolique où l'on retrouve une nouvelle fois Chostakovitch, décidément très présent sur ce disque. En revanche, le Confutatis maledictis, avec ses grands coups de gueule, s'apparente à Kurtág.

Enfin, d'Alexandre Raskatov, né également à Moscou en 1953 – dont nous écoutions Chemin en début d’année [lire notre chronique du 31 janvier 2003] –, nous entendrons sur ce disque un Kaddish chanté en hébreu. Son travail recherche un espace sonore hors du temps, souvent marqué par le rituel. Archaïsme instrumental et harmonies tortueuses se dégagent de cette œuvre aux influences byzantines, aux accents de chorale d'église, sur la prière juive des morts. Le soprano sert merveilleusement le début recueilli et le développement plus pleureur de cette pièce.

Le label suisse Claves signe là un disque magnifiquement réalisé qui permettra de mieux connaître un répertoire encore rare chez nous.

HK