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Chroniques
récital David Bismuth et Pierre Génisson
Chausson – Debussy – Françaix – Massenet – Poulenc – etc.
Un beau disque au programme original est aujourd’hui proposé par le label Aparté (distribué par Harmonia Mundi). Deux de nos jeunes virtuoses français, Pierre Génisson et David Bismuth, ont choisi de se présenter à travers six œuvres pour clarinette et piano, cent pour cent françaises. Ces pièces sont avant tout une mise en valeur de la clarinette, instrument chéri des compositeurs au crépuscule de leur vie. Elles ont en commun d’avoir été écrites par de grands musiciens du XXe siècle, à l’exception de l’Andante et Allegro de Chausson qui date de 1881. Tombée dans l’oubli jusqu’en 1977, cette page fut redécouverte par hasard et reste peu donnée, au concert comme au disque. C’est dommage, parce qu’elle est plaisante et inventive, dans la lignée des œuvres postromantiques françaises.
Les opus phares de cet album restent les très belles sonates de Camille Saint-Saëns et de Francis Poulenc. Saint-Saëns, le mal aimé, n’aura pas connu de succès pour cette œuvre ultime écrite à quatre-vingt ans, quelques mois avant sa mort. Elle est pourtant pleine de charme et d’émotion, dans un style résolument tourné vers un romantisme passéiste qui évoque plus Brahms et Schumann que ses amis Lalo ou Fauré. Elle continue de susciter un engouement tel qu’une version concertante avec orchestre à cordes vient d’être réalisée par Franck Villard et Michel Lethiec (donnée le 14 octobre dernier à Washington).
La Sonate pour clarinette et piano de Poulenc fut créée à titre posthume par Benny Goodman et Leonard Bernstein en avril 1963, trois mois après la disparition de son auteur. Ses emprunts aux chansons populaires américaines et françaises l’ont rendue célèbre. Comme celle de Saint-Saëns, cette sonate anachronique retrouve la fougue des œuvres de jeunesse, un testament flirtant plus avec le jazz qu’avec l’atonalité. Nos compères manquent un peu d’humour et de verve.
En 1909, Claude Debussy, devenu membre du Conseil supérieur du Conservatoire de Paris, écrivit le morceau de concours de l’année 1910 : la Rhapsodie n°1, œuvre de courte durée aux couleurs mystérieuses et poétiques, fidèle à sa signature. Il tenait à ce qu’elle soit jouée « doux et expressif, puis doux et pénétrant ». Lui aussi se veut le garant d’une « tradition française faite de tendresse délicate et charmante »qui peut toutefois s’emballer passionnément dans le final de ce morceau. Pierre Génisson n’y montre pas toujours les nuances qu’en attendrait dans Debussy, avec un jeu trop contrasté pianissimo/fortissimo.
Jean Françaix est le benjamin de cette anthologie, avec son Tema e variazioni (1974) qui comporte sept miniatures d’une durée totale de huit minutes (comme la Rhapsodie précédente), divertissantes, sans prétention et largement accessibles à des oreilles non férues de musique dite « contemporaine » [lire notre critique du CD]. En bis, le duo offre une transcription convenue de la Méditation de Thaïs.
Pour ces pages souvent disponibles en CD, ces jeunes solistes sont confrontés à une concurrence solide comme celle des deux Meyer, Sabine et Paul, superlatifs chacun à leur manière dans des programmes très proches. On reprochera à Pierre Génisson des prises de souffle trop sonores, des respirations intempestives ainsi qu’un manque de sensibilité dû vraisemblablement à une maturité en devenir. On lui préférera l’extraordinaire Raphaël Sévère qui enregistrait en 2007, à l’âge de douze ans, un programme presqu’identique (Gabriel Pierné remplaçant Jean Françaix). Avec intelligence et délicatesse, David Bismuth sait s’effacer derrière son jeune collègue, en excellent accompagnateur qu’il est.
MS