Recherche
Chroniques
récital Bernard Foccroulle
Dusapin – Foccroulle – Harvey – Hosokawa – Jolas – etc.
Participant à l’ouvrage collectif La naissance de l’individu dans l’art (Grasset, 2005), Bernard Foccroulle, organiste et compositeur alors directeur du Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles), résume ainsi le dos tourné à une vocation sacrée, à la fin du XVIe siècle : « désormais, le beau n’est plus absolu et divin, il devient subjectif et humain ». Ce qui n’empêche pas des créateurs, tels ceux réunis ici, de revenir à un instrument associé depuis des lustres à l’église pour célébrer la puissance de l’invention individuelle.
La pièce la plus ancienne du programme élaboré durant le confinement du printemps 2020 est Fantasia (1991) de Jonathan Harvey (1939-2012), que son interprète créa voilà trente ans en l’Église Saint-Thomas (Strasbourg). Il revient aujourd’hui à l’instrument construit par André Silbermann, restauré par Alfred Kern, pour rendre hommage à la période de composition en partie alsacienne d’une œuvre contrastée et pleine de surprises, comme son titre l’annonçait.
Lorsqu’il invite Toshio Hosokawa à écrire Hanjo pour le Festival d’Aix-en-Provence [lire notre chronique du 25 juillet 2004], son directeur (2007-2017) ne connaissait pas encore Cloudscape (2000). Dans cette commande pour le concours de Misashino, l’instrument est traité comme le shô, l’orgue à bouche typique du gagaku, et la musique semblable à des nuages « changeant de forme lentement et de manière continue » (notice du CD). Intense d’un bout à l’autre, l’opus confie aux timbres le soin de modeler la profondeur de champ.
Nombre de musiciens français ont fait référence à la mémoire dans un titre de leur catalogue (Bancquart, Gagneux, Murail, etc.). Pascal Dusapin n’échappe pas à la règle, à la différence que Memory (2008) emprunte à l’idiome de Ray Manzarek (1939-2013), légendaire claviériste des Doors à qui s’adresse cet « hommage crypté et monomodal » (ibid.). Aux résonnances organistiques découvertes à la fin de l’enfance par le natif de Nancy se mêlent les souvenirs du Vox Continental de la pop entendue pendant l’adolescence.
Nommé titulaire à la Trinité où Messiaen avait trôné durant six décennies, Thomas Lacôte conçoit The Fifth Hammer (2013) pour quatre mains. Son titre est une référence au mythe de la forge de Pythagore qui ouvre tous les traités jusqu’au XVIIIe siècle, soit la découverte que « la science de la musique résidait dans la proportion et le rapport des nombres », comme l’écrit Guido d’Arezzo. Yoann Tardivel apporte sa contribution à ce vitrail aux couleurs recherchées.
Les pages les plus récentes sont de Foccroulle lui-même : d’abord E più corusco il sole (2016), sur les pas de Dante au Purgatoire, comme un labyrinthe bombardé d’échos, entre méditation et drame [lire notre chronique du 18 juin 2021] ; puis Elegy for Trisha (2020). Celle-ci reprend partiellement le matériau de Climbing-Dancing (2018), un concerto pour violoncelle et orchestre écrit en hommage à une fameuse chorégraphe disparue. L’œuvre est dédiée à Sonia Wieder-Atherton, volubile à côté d’un clavier qui joue la discrétion.
Enfin, à la suite des auditeurs de Présences au début de l’année 2021 – une édition consacrée à Dusapin, juste avant celle qui célèbre Tristan Murail, du 8 au 13 février 2022 –, découvrons Musique d’autres jours (2020), duo de Betsy Jolas dédié aux deux interprètes précédemment cités, dont le titre renvoie à une ancienne pièce pour orgue, Musique de jour (1976).
LB