Chroniques

par laurent bergnach

Pierre Boulez – Igor Stravinsky
pièces variées

1 CD Les belles écouteuses (2015)
LBE 10
Diego Tosi au violon, Jérôme Comte à la clarinette, pour ce CD Boulez Stravinsky

Porté par deux talents de la nouvelle génération, le clarinettiste Jérôme Comte et le violoniste Diego Tosi, voici un programme chambriste qui unit un pilier de la première moitié du XXe siècle, Igor Stravinsky (1882-1971), à un incontournable de la seconde, Pierre Boulez (né en 1925). Pour mémoire, le cadet avait choisit de jouer Pulcinella (1920) suite au décès de l’aîné, convaincu que l’allié des Ballets russes avait imposé son visage au monde de façon définitive par « ce mélange insolite de vigueur, d’agressivité, de poésie, de bonne humeur, de familiarité, de candeur, de pessimisme et de mélancolie » (in Regards sur autrui – Point de repère II, Christian Bourgois, 2005).

Si Stravinsky écrit beaucoup pour le piano solo avant de privilégier l’orchestre, de la Tarentelle (1898) jusqu’à la Sonate (1924), il favorise aussi les instruments à vent tel le cor (Canons pour deux cors, 1917), le basson (Duo pour deux bassons, 1918) et la clarinette, utilisée par trois dans Berceuses du chat (1916) et seule dans Trois pièces pour clarinette (1919), page brève écrite en octobre-novembre 1918 à l’attention du Suisse Werner Reinhart – financeur de la tournée d’Histoire du soldat. « S’il est une œuvre où Stravinsky exprime quelque amitié, écrit Marcel Marnat dans la biographie qu’il consacre à l’élève de Rimski-Korsakov, nous dirons que c’est celle-ci » (Solfèges/Seuil, 1995), toute d’infinie tendresse et d’énergie volubile.

Dédié à Luciano Berio pour ses soixante ans, Dialogue de l’ombre double (1985) est devenu un classique du solo avec électronique, repris régulièrement par son créateur Alain Damiens [lire nos chroniques du 27 janvier 2012 et du 13 juin 2008], puis par Jérôme Comte, son jeune confrère au sein de l’Ensemble Intercontemporain [lire notre chronique du 4 août 2010].

Trois ans après son entrée dans la formation parisienne, le jeune soliste parlait d’une œuvre sensuelle mais profondément voilée par la pudeur, et précisait « jouer très vite est une facilité ; l’énergie sera là, mais il manquera autre chose. Jouer légèrement moins vite, avec une énergie venue de l’intérieur, engendre plus de vrai caractère et profite à la netteté et à la construction » (in Accents n°36, septembre-décembre 2008). Sa version propose effectivement une expressivité tranquille, moins mordante ou moqueuse que d’autres, lumineuse et habitée. Signalons l’accès possible à un Dialogue mixé pour casque (effet binaural).

Boulez encore, par un violon, cette fois. Il s’agit d’Anthèmes I (1991/1992), bref solo conçu pour un concours à partir d’un fragment inutilisé d'une des premières versions d’...explosante-fixe.... (1994). Quelque temps plus tard, il le décline en neuf sections avec électronique en temps réel. Ainsi naît Anthèmes II (1997), créée à Donaueschingen par Hae Sun Kang avec l’appui, une nouvelle fois, du fidèle Andrew Gerzso à la technique. Dans chacune des deux pièces, Diego Tosi est en phase avec la virtuosité exigée, parfois teintée de lyrisme et de méditation – lui qui, en 2008, gravait pour la première fois certaines pièces de Scelsi (Divertimento n°4, Xnoybis, etc.). Entendrons-nous un jour Anthèmes III, surgeon prévu pour violon et petit orchestre ?

LB