Chroniques

par samuel moreau

Paul Hindemith
Cardillac

1 DVD Bel Air Classiques (2007)
BAC 023
Paul Hindemith | Cardillac

Avant de s'intéresser à la vie du peintre Mathias Grünewald (Mathis der Mahler, 1938), Paul Hindemith met en scène Cardillac, un personnage que le librettiste Ferdinand Lion rencontre dans Mademoiselle de Scudery (1818), un conte écrit par E.T.A. Hoffmann. Une série de meurtres trouble la paix parisienne, auxquels s'ajoute un nouveau coup de poignard donné sous les yeux du spectateur (Acte I, scène 2). Certains commencent à soupçonner plus qu'une coïncidence dans le fait que les victimes soient des clients du célèbre orfèvre Cardillac. On le découvre vite : c'est l'orfèvre lui-même qui est l'auteur des crimes, s'attaquant bientôt à l'officier venu lui demander la main de sa fille – laquelle lui avait reproché d'avoir plus de tendresse pour ses œuvres que pour elle – et lui acheter une chaîne en or. Contraint de révéler la vérité à une foule en furie, Cardillac se dénonce et se fait lyncher. L'artisan se prenait pour un artiste, et c'est peut-être là le cœur de sa folie. La première de l'ouvrage en trois actes a lieu le 9 novembre 1926 au Sächsisches Staatstheater de Dresde, s'inscrivant dans le courant d'une Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) souvent décriée – Hanns Eisler se moquant de l'assassinat du Cavalier sous les accents anodins d'un duo de flûtes.

Découverte à l'Opéra Bastille il y a quelques mois [lire notre chronique du 15 octobre 2005], la transposition années trente proposée par André Engel nous déconcerte par sa réalisation. En effet, les décors mettent en valeur la perspective de divers lieux clos (hall d'un hôtel de luxe, puis chambres), mais manquent singulièrement de profondeur pour tout le mobilier qu'elle doit abriter, donnant un côté kitsch et tape-à-l'œil à l'ensemble. Bravo si le but était d'exacerber le côté étouffant de l'intrigue ; sinon, pourquoi n'avoir pas profité de l'espace offert par le théâtre – que nous révèle à plusieurs reprises la caméra de Chloé Perlemuter ? Bien pire, le bonus scandaleux accompagnant cette captation – seulement dix-sept minutes de commentaires (dont ceux de Gerard Mortier qui, décidemment, ne sait rien faire discrètement) pour cinquante-sept de film – révèle à quel point la dimension métaphysique de l'ouvrage a échappé à l'ancien professeur de philosophie.

La distribution vocale est heureusement satisfaisante, si l'on excuse la confidentialité et les phrases descendantes souvent ratées d’Hannah Esther Minutillo (la Dame) ainsi que l'entrée tardive dans le vibrato d'Angela Denoke (la Fille), exceptionnellement en petite forme. Les hommes se montrent plus fiables. Son chant clair, élégant et souple fait de Charles Workman un Cavalier attachant, tandis que Christopher Ventris s'avère un Officier vaillant. Inspirant « une vénération mêlée de pitié », le Cardillac d'Alan Held possède un bel espace vocal, un timbre très cuivré qui donne de la matière à un personnage plus complexe qu'il n'y paraît – lui qu'on dit agité d'une folie sacrée, n'a-t-il pas relevé l'état amoureux de sa fille ? La lecture de Kent Nagano, contrastée et sensuelle, trouve en l'Orchestre de l'Opéra national de Paris des musiciens efficaces dans les traits chambristes comme dans les tutti – la qualité des soli de violon et de hautbois est à signaler.

SM