Chroniques

par laurent bergnach

Pascal Gallois et Prague Modern
Berio – Fujikura – Grisey

1 CD Stradivarius (2016)
STR 37031
Pascal Gallois dirige l'ensemble Prague Modern dans Berio et Grisey

Pour rendre contagieuse sa passion de la musique, le bassoniste Pascal Gallois ne se contente plus de l’interpréter ou de l’enseigner : il passe désormais à la direction d’orchestre [lire notre entretien]. Et c’est tout naturellement que l’ancien soliste de l’Ensemble Intercontemporain enregistre des œuvres de son temps, choisies chez trois générations de compositeurs, représentées par Luciano Berio (1925-2003), Gérard Grisey (1946-1998) et Dai Fujikura (né en 1977).

Le 6 mars 1983, à la veille d’enregistrer quelques morceaux pour une émission télévisée célébrant le centenaire de la mort de Marx, Cathy Berberian succombe à une crise cardiaque, à l’âge de cinquante-sept ans. Émus par la disparition de la chanteuse au répertoire éclectique (De Monteverdi aux Beatles, Des Peaux-Rouges à Broadway, etc.), certains compositeurs lui rendent hommage avec des pièces plus ou moins courtes : Bussotti, Cage et Berio, le complice de toujours. Ainsi naît Requies : Frammento (in memoriam Cathy), devenu Requies (1984/87) après plusieurs révisions. Son auteur évoque un orchestre de chambre qui décrit une mélodie comme une ombre signale un objet, ou un écho un son – « la mélodie est révélée progressivement, quoique de manière discontinue, avec des répétions et des disgressions autour d’une base changeante, distante, difficile à définir » (in Marie Christine Vila, Cathy Berberian cantat’actrice, Fayard, 2003). Tendre et frissonnante au départ, l’œuvre gagne en tension et puissance à mesure que mûrit sa mélancolie.

« Je travaille toujours dans un temps très dynamique, toujours tendu vers quelque chose, confiait Grisey, jugeant son temps musical plus proche de Mahler que de Debussy (in Gérard Grisey, Écrits ou L’invention de la musique spectrale, Éditions MF, 2008) [lire notre critique de l’ouvrage]. Dans Talea, ou La machine et les herbes folles (1987), quintette pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano, en deux parties enchaînées, le compositeur explore des notions éloignées de ses recherches habituelles (synthèse instrumentale, microphonie, etc.), à savoir la rapidité et le contraste. Grincements des cordes, tourbillons de la clarinette et martellements du piano participent à dessiner des engrenages, jusqu’à l’arrivée d’une atmosphère plus calme, aérée sinon organique, où dominent soli, silences et harmoniques.

Terminons avec le Concerto pour basson de Fujikura, l’œuvre la plus longue du programme, avec ses vingt-cinq minutes. Ce n’est pas la première fois que le Londonien explore un instrument porteur de « possibilités uniques et mystérieuses » (notice du CD), dont l’intérêt lui est apparu après sa toute première collaboration avec Gallois, dans le duo avec violoncelle The voice (2008). Il a souvent une place de choix. Secret forest [lire notre critique du CD], par exemple, met le basson au centre de l’orchestre. Ici, ce dernier devient l’aura du premier, puisque l’idée fondamentale est d’analyser les multiphoniques d’un basson qui mène le jeu – granuleux ou cristallin, statique ou volubile –, pour les orchestrer à grande échelle. Si Pascal Gallois dirige l’ensemble Prague Modern dans les deux pages du XXe siècle, il joue celle du XXIe sous la direction de Tatsuya Shimono, avec l’Orchestre symphonique métropolitain de Tokyo, le soir de la première (11 octobre 2012).

LB