Chroniques

par laurent bergnach

Pascal Dusapin
Tenir l’accord – entretiens sur la musique et la psychanalyse

Éditions MF (2022) 160 pages
ISBN 978-2-37804-046-8
Pascal Dusapin s'entretient avec la psychanalyste valentine Dechambre

Il y a dix ans, suite à la Leçon inaugurale au Collège de France de Pascal Dusapin, Valentine Dechambre écrivait un article affirmant une dimension joycienne dans l’œuvre du compositeur. Ce dernier fut alors invité à rencontrer la psychanalyste et vice-présidente du festival Musiques Démesurées, flanquée de quelques confrères sensibles à la création musicale – on citera Jacqueline Dhéret et surtout François Ansermet, les plus fidèles aux échanges organisés. Un livre en rendit compte, qui portait le nom des quatre chapitres de l’ouvrage : Flux, trace, temps, inconscient (Éditions Nouvelles Cécile Defaut, 2012). Tenir l’accord est une réédition de cet ouvrage, auquel s’ajoutent deux nouveaux entretiens : Inquiétude et Dérèglement. Le premier eut lieu en public, lors de la quarante-septième édition des Journées de l’École de la Cause Freudienne (2017) ; le second au lendemain de la création bruxelloise de Macbeth Underworld (2019) [lire notre chronique du 25 mars 2020].

Sans doute parce qu’il a affaire à des spécialistes de la psyché, Pascal Dusapin (né en 1955) donne très tôt une information peu connue, mise à distance : « entre 10 ans et demi et 19 ans, j’ai été très malade. J’ai eu des crises d’épilepsie qui suivaient des comas assez graves. » Il grandit entre un père démuni face à la maladie et une mère pleine de reproches, qui se séparent en 1969, date de l’arrivée à Paris. L’adolescent sait déjà qu’il n’a aucune disposition à l’instrument (piano, orgue), en partie parce que l’enseignement implique l’autorité. Il écoute Bach et Beethoven, mais aussi le jazz expérimental, Pink Floyd et The Doors. La découverte de Varèse est un choc (« il cristallise toutes mes pulsions »), avant celui des cours suivis en auditeur libre avec Xenakis, lequel attire son attention sur l’arbitraire et le déplacement.

Toujours dans le premier chapitre, le musicien avoue être déstructuré par l’éloignement de sa table de travail, forcément conscient de l’aspect thérapeutique de l’écriture. Celle-ci s’accompagne d’un certain rituel, nécessaire à une salutaire rétention qu’il explique ainsi : « pour que l’imagination puisse se déployer dans son espace, dans sa liberté, il faut que je la freine. Et c’est en ralentissant, au fond, que ça avance ». Les trois chapitres suivants mettent en avant d’autres paradoxes avancés par Dusapin : un temps musical lié chez lui à la notation plutôt qu’à l’écoute, des miettes sonores qui sont aussi des graines, l’oubli d’une idée s’affirmant tout à la fois chose regrettable et pourtant indispensable à la faculté d’imagination, etc.

Continuons notre visite dans l’atelier de l’artiste (laquelle aurait été fluide sans les nombreuses coquilles qui la hérissent). Les deux nouveaux chapitres confirment ce que nous savions : le compositeur jouit de la liberté que lui apporte son métier : « je n’ai pas à me soumettre à une évaluation. Je peux rester dans le secret permanent ». Malgré tout, il y a la douleur de l’éternel recommencement et le danger de succomber à la virtuosité, cette capacité à éblouir avec son savoir-faire, sans plus se remettre en question à l’aide d’éléments pourtant variés (perturbation, entropie, débord, etc.). « Comment faire pour ne pas savoir » est une des nombreuses interrogations de Pascal Dusapin, ému de corriger une pièce de jeunesse (Lumen, 1976) trahissant une prise de risque à retrouver : « je ne sais rien mais je suis libre, c’est comme une page blanche dont on ne voit pas les bords ».

LB