Chroniques

par laurent bergnach

Péter Eötvös, le hr-Sinfonieorchester et l’Ensemble Modern
Bartók – Eötvös – Ligeti

2 CD Naïve (2012)
V 5285
Péter Eötvös joue Bartók, Eötvös et Ligeti

Née à Chişinău (Moldavie) d’une mère violoniste et d’un père cymbaliste, Patricia Kopatchinskaïa s’initie toute jeune au violon avec Michaela Schlögl, une élève de David Oïstrakh. Juste avant l’adolescence, elle s’installe avec ses parents à Vienne où, en parallèle de l’interprétation, débutent des études en composition à l'Universität für Musik und darstellende Kunst. Cet enseignement prend fin à Berne, au début de l’âge adulte, et l’artiste peut désormais se produire en soliste avec nombre d’orchestres internationaux (Berlin, Cologne, Londres, Moscou, Salzbourg, Stuttgart, Tokyo, etc.). Tout naturellement, parce qu’elle ne rechigne pas comme tant d’autres à jouer des créateurs marquants du XXe siècle (Berg, Enesco, Ligeti, Kurtág, Oustvolskaïa, Schönberg, Webern), l’interprète doublée d’une compositrice se voit dédier des œuvres conçues par ceux du XXIe (Doderer, Karaïev, Kühr, Lann, Mansourian, Oehring, Resch, Say, Sotelo, Wyttenbach, Zykan, etc.).

Aujourd’hui, c’est un programme hongrois que propose Kopatchinskaïa, lequel débute avec le Concerto pour violon n°2 BB 117 (1939) de Bartók, créé sous la direction de Willem Mengelberg au Concertgebouw d’Amsterdam par son commanditaire Zoltán Székely (ancien élève de Kodály à Budapest et ami de Béla, disparu en octobre 2011). Dès l’Allegro non troppo initial, l’oreille est surprise par une prise de son qui met en avant le violon, mais aussi la lecture quasi intrusive de Péter Eötvös. En effet, moins debussyste que Boulez jadis, l’ancien directeur artistique de l’EIC favorise la modernité de la partition, notamment grâce au relief donné à des alliages de timbres d’ordinaire plus discrets, portés par l’Hessischer Rundfunk Sinfonieorchester.

Créé le 6 septembre 2007 par Akiko Suwanai au Festival de Lucerne, repris régulièrement depuis lors – notamment à Caen et Paris, deux ans plus tard [lire notre chronique du 13 novembre 2009] –, Seven révèle une nouvelle fois l’amour d’Eötvös pour un univers sans limites, celui de Gagarine et du Big Bang, exploré depuis Kosmos (1961) [lire notre critique du CD]. Hélas, la conquête spatiale charrie son lot de tragédies, comme l’incendie au sol d’Apollo 1 (1967) ou l’explosion d’une navette Columbia lors de son retour sur Terre, avec sept passagers (2003). C’est cette dernière qu’évoque sa pièce en deux parties, prévoyant la présence d’un soliste sur scène et de six violons supplémentaires dans la salle. Le compositeur a pris goût à cette formation, semble-t-il, puisque Midori et le Los Angeles Philharmonic jouaient DoReMi le 18 janvier dernier – pièce reprise depuis à Leipzig et à Londres.

Créateur d’œuvres signées Schnittke, Maderna et Ligeti, Saschko Gawriloff retrouve ce dernier pour les versions successives du Concerto pour violon (1990/92) – la seconde impliquant déjà Eötvös et l’Ensemble Modern, comme ici même. C’est un témoignage caractéristique du travail tardif du Hongrois, qui puise dans l’histoire personnelle ou collective (époques moyenâgeuse et baroque, chant populaire, superpositions polyrythmiques, etc. Là encore, une prise de son habile sublime les différents climats que développe l’œuvre en cinq mouvements – tantôt grinçante et narquoise, tantôt berçante et extatique –, aux ciselures colorées que révèle chacun des musiciens en présence. Au final, propice à la découverte d’une interprète, d’un chef ou encore d’un compositeur, cette parution discographique n’est en rien négligeable.

LB