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Le trio avec piano – Histoire, langages et perspectives
Pour commencer, saluons l'initiative de Symétrie de publier ces actes du colloque Le Trio avec piano / histoire, langages et perspectives qui s'est tenu parallèlement à la première édition du Concours International de Musique de Chambre de Lyon, en 2004, et dont la démarche originale a pu permettre de relier la pratique instrumentale au savoir musicologique. En effet, ce tout jeune concours accompagnait le climat des épreuves par des conférences et des rencontres, accordant une place privilégiée à la réflexion, chercheurs et musiciens venant éclairer les interprètes et le public de certains points de vue.
En fidèle témoin, l'ouvrage propose plusieurs articles sur des questions spécifiques. Ainsi celui de Pierre Saby explore-t-il les Pièces de clavecin en concert de Jean-Philippe Rameau, publiées en 1741, dans une contribution intitulée Ascendance du trio avec clavier, s'interrogeant au passage sur le terme musique de chambre, une désignation apparue au début du XVIIIe siècle qui incluait toute la musique vocale ou instrumentale n’étant pas d'église, par conséquent jouée dans des lieux profanes, que ceux-ci soit royaux, princiers ou bourgeois. L'auteur précise également ce à quoi renvoie le Concert à cette époque, dans la tradition française – Six Concerts Royaux de Couperin, en 1722 – comme pour Bach – Six concerts avec plusieurs instruments dédiées au Margrave de Brandebourg en 1721 –, tandis que le concept de musique de chambre est en cours d'invention. Depuis 1733, Rameau était tout entier tourné vers le théâtre : ces pièces, vraisemblablement utilisées pour nourrir les moments musicaux du fermier général La Poupelinière, grand mécène dont le compositeur eut la charge de l'orchestre de 1731 à 1753, constituent donc sa seule contribution au genre. Observant que de nombreuses pages existent pour clavier seul ou pour le concert, Pierre Saby présente une étude comparative des versions pour clavier seul et pour trio, prenant appui sur les exemples de L'indiscrète, L'agaçante (retravaillée ensuite pour devenir L'entrée des Indiens de l'opéra Zoroastre, en 1749), La timide, etc. ; il vérifie alors qu'il s'agit souvent non de pièces à mélodies mais à motifs, exception faite de La Boucon, en forme de Rondeau avec reprise.
Quant à lui, Hervé Audéon nous instruit, dans Notes sur le trio avec piano en France vers 1800 et le concept d'accompagnement, sur l'étonnant développement de la musique de chambre entre 1789 et 1815 – on compte en effet rien moins que sept cents œuvres qu'on peut considérer comme des Trio avec clavier, soit environ deux cent quarante opus produits par près de quatre-vingt compositeurs, et qui, contrairement à ce qu'il est généralement convenu de croire, n'étaient pas exclusivement présentes sur le papier mais réellement jouées –, poursuivant les réflexions de Jean Gribenski, en se référant à L'école de l'accompagnement de Eugène Sauzay. Au XIXe siècle, la facture de piano se perfectionnant considérablement – l'auteur brosse un portrait concis et clair des progrès faits pour l'élargissement et la meilleure fiabilité de la sonorité du pianoforte –, le Trio avec piano devient l'un des genres les plus prisés des pianistes virtuoses.
Partant de certains constats de Rémy Strycker, Denis Le Touzé, quant à lui, s'attache à analyser l'opus 100 de Schubert, dans son Gestes expressifs et dramaturgie de la forme dans le deuxième mouvement du Trio Op.100 D929 de Schubert, tandis que Catherine Legras offre une étude sur Les trios avec piano de Louise Farrenc, ouverte par une copieuse biographie de la compositrice, parfois à la limite de l'hagiographie avouée. Assez naturellement, Farrenc obéit au goût de son temps pour la musique de chambre, et compose, dès 1840, ses 1er et 2ème Quintettes avec piano – le Quintette avec piano est alors une audace : on n'en connaît qu'un seul, de 1819, celui de Schubert (D 667), et Schumann composerait son Op.44 deux ans plus tard seulement – ; en dix-huit ans, elle écrirait onze opus chambristes, dont quatre Trios avec piano.
Indéniablement, la pièce maîtresse de ce livre s'appelle Empreintes et tournures modales dans le Trio avec piano en sol mineur Op.3 d’Ernest Chausson, une œuvre lyrique, d'une expression passionnée, voire tourmentée, que des empreintes modales viennent colorer – ce phénomène prenant de plus en plus d'importance durant la courte carrière de Chausson (le 10 juin 1899, le musicien s'éteint à quarante-quatre ans : lors d'une balade à bicyclette, il se fracture le crâne contre le mur de clôture de sa maison de campagne de Limay), jusqu'à intégrer sa signature. Isabelle Bretaudeau signe là un essai brillant qui tenter d'abord de définir ce que serait la modalité, prenant appui sur l'approche que put en proposer Henri Gonnard dans La musique en France de Berlioz à Debussy. Par un travail méthodique d'une précision exemplaire, l'auteure repère diverses éventualités modales, mode pentatonique japonisant, pentacorde descendant de mode hongrois, sensations d'un mode phrygien, mais aussi de tétracorde de mode andalou, ou encore d'un mode éolien, et modes anciens occidentaux. L'œuvre échappant à une analyse modale unique comme à une analyse tonale traditionnelle – sa complexité harmonique repose en partie sur cette ambiguïté modalo-tonale –, Isabelle Bretaudeau parlera d'une « modalité mélodico-harmonique perçue dans un cadre chromatique » dont elle fait l'objet d'un chapitre de son texte. Elle livre ensuite une synthèse idéale de son analyse détaillée, concluant que cette ambivalence harmonique témoignerait de la « mobilité ou la mouvance en soi de la pensée créatrice originelle » (page 138).
Enfin, Gérard Streletski animait une Table ronde, réunissant Jacques Moreau (directeur des études du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon), Raphaël Pidoux (violoncelliste du Trio Wanderer) et Laurent Lagarde (violoncelliste du Trio des Aulnes), dont les dernières pages de cette publication rendent compte. Pour information, rappelons que les membres du jury du 1er Concours International de Musique de Chambre étaient Martin Lovett (membre fondateur du Quatuor Amadeus), le musicologue Marc Vignal, les pianistes Bruno Canino et Vincent Coq, les violonistes Amiram Ganz (fondateur du Trio Altenberg) et Koïchiro Harada (Quatuor de Tokyo), le violoncelliste Christoph Henkel ; ils ont distingué par un 1er Prix de la Ville de Lyon le Trio di Parma (Italie), le Trio Novalis (France) emportant le 2ème Prix Spedidam, le Prix Adami du public et le Prix Sacem.
BB