Chroniques

par laurent bergnach

Ottorino Respighi
Belfagor | Belphégor

1 coffret 2 CD Hungaroton Classic (1989)
HCD 12850-51
Ottorino Respighi | Belfagor

Ottorino Respighi (1879-1936) appartient à ce qu'on appelle ordinairement la « génération des années quatre-vingt ». Avec d'autres compositeurs comme Alfredo Casella ou Gianfrancesco Malipiero, il a tenté de redonner un nouveau souffle à la musique de son pays. À cet effet, une génération redécouvre les styles antérieurs (de Palestrina à Vivaldi), s'inspire du folklore ou mélange les effets, donnant à la musique italienne une portée plus moderne et plus européenne.

Entre 1900 et 1903, le jeune Respighi est altiste à Saint-Pétersbourg et fréquente les cours de Rimski-Korsakov au Conservatoire. Même si Strauss et Debussy l'ont influencé, c'est au compositeur russe qu'il doit sa grande maîtrise de l'orchestre – comme dans son triptyque le plus célèbre : Les Fontaines de Rome (1917), Les Pins de Rome (1924) et Fêtes romaines (1928). Ce n'est donc pas ses onze œuvres théâtrales (dont sept ballets) qui firent sa renommée, puisque Belfagor (1922), La Compana sommersa (1927), Maria Egiziaca (1932) ou La Fiamma (1934) sont des titres quasiment inconnus pour le mélomane. Le label Hungaroton nous donne l'occasion de redécouvrir le premier d'entre eux, grâce à cette réédition d'une prise jusqu'alors publiée en vinyle.

Dans un village de la côte toscane, à l'époque où il existait des diables sans cornes, le marin Baldo fait des adieux nocturnes à sa chaste bien-aimée, Candida. Le jeune homme doit s'embarquer au matin et se sauve dès qu'apparaît Mirocleto, le père de Candida, rentrant au foyer gris et titubant. Belfagor, diable à longue queue en mission sur terre, l'accoste alors. Les maîtres de l'Enfer l'ont chargé de vérifier les plaintes des âmes damnées : tous les maux des hommes viennent du mariage ! Belfagor a dix ans pour mener l'enquête in situ et surtout cent mille ducats à sa disposition. Mirocleto le prie de venir choisir une de ses trois filles dès le lendemain. Avec un physique d'homme ordinaire, notre diable rencontre les femmes de la maison : Olympia la mère et ses filles, Fidelia, Maddalena et Candida. Il se présente comme Monsieur Ipsilonne, riche marchand qui souhaite se retirer des affaires et prendre épouse. Les deux aînées essayent d'attirer l'attention du riche prétendant, mais c'est Candida qui l'intéresse. Le père promet le mariage avec sa plus jeune fille... lequel ne sera pas consommé, au désespoir de Belfagor tombé amoureux. À la faveur d'une ruse, Candida s'échappe avec Baldo de retour au village. Ils cherchent refuge chez le prêtre Don Bagio. Juste avant, la jeune fille avait expliqué à sa mère l'invalidité de son mariage : ce jour-là, elle n'a pas prononcé le oui traditionnel et les cloches de l'église se sont tues. À présent, elle doit donner une preuve à son amoureux qui doute de sa virginité, suite aux ragots d'un Belfagor déguisé en vagabond mais qui s'enfuira, copieusement battu par Baldo. De nouveau, la Sainte Vierge accomplit un miracle : les cloches sonnent toutes seules, saluant la vertu de la jeune fille et l'union possible avec le marin.

En 1919, on attire l'attention de Respighi sur la comédie du poète florentin Ercole Luigi Morselli. Très malade, ce dernier laisse au critique littéraire Claudio Guastalla – dès lors librettiste attitré du compositeur – le soin de l'adaptation. Celle-ci s'avère difficile car le personnage principal manque singulièrement d'envergure et de ruse dans l'original pour créer sur scène des rebondissements, au point que Gustalla le traite de fier imbécile. Malgré un suspense habilement entretenu, c'est vrai que l'on est peu tenu en haleine par ce Malin si peu à la hauteur de sa réputation... Le livret sera largement critiqué par la presse qui lui reproche son manque de concision et de diversité qui nuit notamment à la portée comique. Les airs longs y sont rares, ce qui renforce la sensation d'uniformité qu'on a à son écoute. C'est seulement la musique de Respighi qui sauve la première de l'échec, le 26 avril 1923. À l'automne de la même année, Bologne, la ville natale de Respighi, veut présenter l'ouvrage mais la Scala a déjà détruit les décors ! Il faudra attendre 1942 pour revoir Belfagor sur une scène italienne.

Lamberto Gardelli dirige l'Orchestre d’État Hongrois, avec des nuances subtiles et excitantes qui soulignent à juste titre la filiation évidente avec le Verdi tardif et surtout Puccini – à qui Respighi doit ses mélodies lyriques. Une certaine couleur d'orchestre et un bel hommage à l'écriture rythmique de certains passages font entendre un Respighi moins passéiste que dans ses pages les plus connues, évoluant soudain de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov à Stravinsky et même Prokofiev. La distribution de ce disque, pour une grande part hongroise (Magda Kalmár, László Polgár, János Tóth, etc.), est excellente. Les voix justes et puissantes sont une source du plaisir qu'on prend à découvrir cette œuvre, en effet pas impérissable mais agréable et souvent facétieuse.

LB