Chroniques

par bertrand bolognesi

Othmar Schoeck
œuvres pour chœur

1 CD Claves Records (2007)
50-2701
Othmar Schoeck | œuvres pour chœur

Du Zurichois Othmar Schoeck, le disque nous fit entendre l'Élégie Op.36 sur les vers d'Eichendorff et de Lenau [lire notre critique du CD], l'opéra Penthesilea [lire notre critique du CD], les trois Sonates pour violon et piano [lire notre critique du CD], mais aussi Erwin und Elmire (CPO), plusieurs volumes de nombreux Lieder (Jecklin, Philips, Supraphon, CPO, Koch, Gallo et MDG), le Nocturne Op.47 (NCA), les Quatuors à cordes (MDG et Musiques Suisses), le Concerto pour cor (CPO, Jecklin et Capriccio), le Concerto pour violoncelle (EBS , Saphir et Bis) ou le Concerto pour violon (Jecklin et Novalis). L'œuvre de ce compositeur né à Brunnen en 1886 demeurant encore fort peu jouée au concert, c'est sur la production discographique que le mélomane devra se pencher, en effet. De fait, Claves continue d'honorer un artiste héritier du romantisme jusqu'en sa germanité même en publiant un excellent enregistrement de l'œuvre chorale, après avoir promu la Sonate pour violoncelle et piano, les Sonates pour violon et piano, les Concerti Op.61 pour violoncelle et Op.21 pour violon, la Suite extraite de Penthesilea, Sommernacht Op.58 et, surtout, les importants cycles de Lieder Unter stermen (Keller) et Das Holde Bescheiden (Mörike).

Comme son contemporain Anton von Webern, Othmar Schoeck fut chef de chœur. Aussi composa-t-il beaucoup pour cette formation qui lui permit de faire se rejoindre son goût du chant (il écrivit plusieurs centaines de Lieder), du théâtre (il est l'auteur de six opéras) et de l'abstraction poétique (à travers les psaumes et gesänge destinés à des exécutions chorales). Le présent disque offre un voyage saisissant à travers les différentes pattes de l'artiste, un parcours initié par l'âpre brio de l'Opus 26 qui stigmatise l'univers de la guerre par une scansion dramatique que soutient un puissant effectif orchestral, dans une facture assez proche de Penthesilea. L'interprétation s'avère immédiatement expressive et précise. Pour l'Opus 18 écrit six ans plus tôt, Mario Venzago, à la tête du MDR Rundfunkchor et du MDR Sinfonieorchester, choisit une sonorité plus ronde qui rend bien compte de l'inscription de Schoeck dans la tradition chorale. Le thème d'un romantisme tourmenté de ce Lied où l'on croise Schubert, Brahms, Mahler et Wolf (dans le phrasé) laisse entrevoir les prémices de ce qu'on vient d'entendre. Dans la partie de ténor solo, Martin Homrich affirme une souveraine intelligence du texte à l'aide d'un timbre à la fois clair et solide dont il use avec nuance. La verve épique de l'Opus 22 surprend, dans cette exécution énergiquement et soigneusement sculptée dans la masse chorale.

La production schoeckienne compte quelques faiblesses, comme en témoignent quatre pages de cet enregistrement. Mignon plus que réellement gracieux, l'Op.69 n°2 ne passionnera guère, de même que le gentiment cordial Opus 43 ou la lourde franchise de l'Opus 24. On s'étonne des atours « cabaret » de l'Opus 54 à l'onctuosité néanmoins sérieuse.

Des réminiscences anciennes de Schoeck, goûtons la trace dans trois œuvres. L'Opus 63, conçu en 1949 pourtant, dont l'élégie romantique développe un lyrisme délicatement chambriste après la méandreuse hésitation des deux premiers vers sur une énigmatique pédale de cordes qui viendra conclure cette construction en arche. Huit ans avant la disparition du musicien, ce chœur masculin montre tout le chemin parcouru par sa facture, frôlant à peine certaines radicalités personnelles, dans une tradition tenant de Brahms et de Reger. Ce souvenir de Reger dont Schoeck fut l'élève s'affirme plus encore dans l'Op.62 n°36 écrit l'année précédente, d'une ferme ferveur, peut-être brucknérienne.

A contrario, l'instrumentarium particulier de l'Opus 49 (1933) surprend. Il souligne le choix d'une harmonie inquiète pour illustrer les vers d'Eichendorff que chante le baryton-basse Ralf Lukas dans un grave riche, non sans une certaine théâtralité. La couleur générale insolite unit l'étrangeté du début et de la fin, réceptacle de tous les dangers, où l'on aperçoit les moires d'un Schreker.

De fait, l'inspiration de Schoeck vient principalement du passé – un homme du XXe siècle dont la musique interprète Goethe, Uhland, Eichendorff, Lenau et Mörike. La rébellion pacifiste d'un Walt Whitman (1819-1892) paraît l'une des plus modernes protections ! Il y a chez le compositeur une sorte de paradoxe qui le tourne occasionnellement vers le plus radical Morgenstern tout en induisant la caresse à l'univers rassurant de son compatriote Gottfried Keller que pourraient bien résumer ses emprunts à Hermann Hesse – son seul « vivant », mais volontiers passéiste. Ainsi les Opus 67 a et b, naïve victoire en musique et dernier hymne au chêne abattu. Le génie de Schoeck s'exprime alors dans Die Drei (Lenau) dont la nudité sépulcrale cristallise l'inquiétude lancinante. L'épaisseur chorale s'enfle jusqu'à l'exultation conclusive la plus noire, s'éteint ensuite dans une vase nauséeuse. Enfin, le bijou de cette précieuse galette est une curieuse comptine, Spruch Op.69 n°1, destinée à un chœur d'enfant, ici chantée par des voix féminines ; Schoeck fait tourner les vers de Morgenstern en une fascinante ronde obstinée et cumulative d'une morbidité portée jusqu'à l'anodin.

BB