Chroniques

par laurent bergnach

Olivier Messiaen
Quatuor pour la fin du temps

1 CD Orfeo (2012)
C 840 121 B
Olivier Messiaen | Quatuor pour la fin du temps

La Seconde Guerre mondiale a commencé. Professeur à l’École Normale de Musique et à la Schola Cantorum en plus d’être organiste de l’Église de la Trinité, Olivier Messiaen (1908-1992) est envoyé comme infirmier auxiliaire à Verdun où il se lie avec le violoncelliste Étienne Pasquier et le clarinettiste Henri Akoka, eux aussi loin de Paris. En juin 1940, l’armée allemande les capturent et les parquent trois semaines dans un camp de transit près de Nancy. Messiaen se met à écrire un solo pour Akoka, la seule personne avec un instrument à sa disposition. La pièce semble trop difficile au musicien qui répète en plein air, avec Pasquier comme pupitre, et se plaint à Messiaen qui lui rétorque « tu te débrouilles »... Le troisième mouvement du Quatuor pour la fin du temps est né.

Au Stalag VIII-A de Görlitz-Moys (Silésie), un quatrième acolyte fait son apparition : le violoniste Jean Le Boulaire – qui évoquerait plus tard les difficultés à s’échanger la dizaine d’instruments disponible entre quarante mille détenus. Enhardi par l’Intermède écrit pour ses compagnons, « petit trio sans prétention qu’ils [lui] jouèrent aux latrines », Messiaen ajoute progressivement d’autres pièces à son quatuor inspiré par une citation de l’Apocalypse de Saint Jean, jusqu’à obtenir huit mouvements hétérogènes – « Sept est le nombre parfait, la création de six jours sanctifiée par le sabbat divin ; le sept de ce repos se prolonge dans l’éternité et devient le huit de la lumière indéfectible, de l’inaltérable paix ». Les quatre musiciens jouent l’œuvre complète devant les autres prisonniers du camp (un nombre qui oscille entre deux cents et cinq cents), par un froid glacial, le 15 janvier 1941.

Dès Liturgie de cristal, où « un oiseau soliste improvise, entouré de poussière sonore, d'un halo d'harmoniques perdus très haut dans les arbres », la clarinette de Jörg Widmann affiche une plénitude de son, une nervosité dans l’appogiature qui interpelle aussitôt l’auditeur. Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du temps la place en retrait, permettant de goûter au piano d’Alexander Lonquich, nerveux lui aussi mais surtout comme désincarné, du fait d’une impédance absolument égale. Le violon tenu par Carolin Widmann se distingue également par sa régularité. Abîme des oiseaux et Intermède ont été évoqués plus haut, germes de l’œuvre entière : méditatif et onirique, le premier témoigne d’un évident plaisir à jouer, tandis que le second livre des cordes aux nuances et demi-teintes lumineuses – avec Nicolas Altstaedt au violoncelle.

Moins sentimental que dans bien des versions, Louange à l’Éternité de Jésus s’avère « infiniment lent, extatique », selon le souhait de son auteur. Cela ne l’empêche pas d’être très chanté et porteur d’un souffle profond. Avec ses unissons véhéments et fermes, sa tension guerrière laissant poindre des sonorités de cymbalum et de flûte, Danse de la fureur, pour les sept trompettes célèbre à merveille l’unique allusion directe au cataclysme biblique. Fouillis d'arcs-en-ciel, pour l'ange qui annonce la fin du temps, d’abord calme puis mordant, finit par se parer d’espièglerie, avec de effets glissando digne de l’instrument de Maurice Martenot. Transcription d'un mouvement du Diptyque pour orgue (1930) et pendant de Louange à l'Éternitéavec le violon en soliste, cette fois, Louange à l'Immortalité de Jésus clôt ce quatuor atypique dans un climat religieux et serein.

Enregistrés en public au Salzburger Festpsiele, le 26 juillet 2008, les interprètes de cette version inspirée bénéficient d’une prise de son bien plus soignée que dans beaucoup d’enregistrements de studio. Pour toutes ces raisons, l’Anaclase! s’impose sans l’ombre d’un doute.

LB