Dossier

propos recueillis par monique parmentier
paris – 11 janvier 2011

Olivier Lexa, entretien
création du Venetian Centre for Baroque Music

un lieu de recherche et un festival
porte lumineuse à Venise par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

Certains projets sont de véritables invitations au voyage dans le temps et dans l’espace. C’est le cas du Venetian Centre for Baroque Music, nouvelle fondation qui voit le jour à Venise grâce au mécénat et au travail d’Olivier Lexa, son initiateur. Il nous présente ce projet qu’il porte avec autant de passion que de pragmatisme, un pragmatisme qui démontre que la culture peut fédérer les énergies intellectuelles et financières afin de faire vivre une musique baroque qui, quoiqu’elle enchante le public par sa richesse et sa diversité, demeure encore à redécouvrir.

Parlons donc du Centre de Musique Baroque de Venise que vous venez de créer…

Comme vous le savez la musique vénitienne est jouée un peu partout dans le monde… partout sauf à Venise. Pourtant la Cité des Doges a créé l’opéra, la cantate, la sonate, le concerto, etc. Dans la mesure où la musique baroque y prit vraiment son envol, il me paraissait cohérent, après le travail sur la musique romantique française auquel j’ai contribué au Palazzetto Bru Zane, et après m’être installé à Venise, de repartir sur une belle aventure, cette fois-ci au service de la musique vénitienne. D’où la création de ce centre de recherche et de concerts dont l’objectif est de faire rayonner le répertoire vénitien, de Monteverdi à Vivaldi. Ces immenses compositeurs définissent les deux bornes chronologiques de l’âge d’or de cette musique, la période pendant laquelle Venise fut un laboratoire d’expérimentations, de créations d’une nouvelle esthétique qui fit tourner une page à l’histoire de l’art. Ce projet put voir le jour grâce au mécénat. Nous travaillons avec les artistes qui ont déjà exploré ce répertoire, ont un vrai plaisir à le défendre et un réel désir de le faire.

Dans quelle situation est aujourd’hui la musique baroque à Venise ?

Depuis la fin du XVIIIe siècle, Venise s’est tournée vers une toute autre musique. C’est encore aujourd’hui très perceptible par la place qu’occupe la Fenice – construite à ce moment-là, peu avant la chute de la République – qui privilégie toujours le bel canto italien du XIXe. L’opéra baroque vénitien en est donc quasi absent. Vivaldi, lui, est largement présent à Venise, mais seulement par des concerts donnés à la chaîne où l’on rabâche inlassablement les Quatre saisons aux touristes. D’où ce challenge de rendre à Venise son répertoire lyrique et instrumental de prédilection, celui du XVIIe siècle et du début du XVIIIe, sa période la plus créative.

Quels sont les moyens dont vous disposez ?

Le premier est de travailler et habiter dans une ville aussi extraordinaire qui ouvre d’incroyables possibilités et où se trouvent les lieux exceptionnels où furent créées puis conservées les œuvres. Mais l’aventure ne serait pas possible sans nos mécènes. Le Centre est une structure privée financée grâce à eux. Ils possèdent la connaissance et l’amour de la ville et de sa musique. Pour eux, faire aujourd’hui quelque chose à Venise en ce sens était une évidence. Certains y vivent, comme Donna Leon qui est la Présidente de notre Conseil honoraire – un personnage incroyable ! Elle connaît bien le répertoire et s’investit énormément dans le travail du Centre. L’essentiel des personnalités qui nous apportent leur aide (et ce de différentes manières, pas uniquement financière) se trouve réuni dans ce Conseil honoraire : Cecilia Bartoli, que l’on ne présente plus – quelle joie d’avoir le soutien de cette immense artiste ! –, Axel Vervoordt qui possède sa propre fondation, très présent à Venise au Palazzo Fortuny, Jean-François Dubos, également Président du Centre de Musique Baroque de Versailles, et des mécènes du Festival d’Aix-en-Provence. Parmi ses membres notre Conseil compte également le grand écrivain indienVikram Seth, véritable amoureux de musique que j’ai rencontré à Venise il y a quelques mois, et Philippe Sollers dont la rencontre fut déterminante : il m’a notamment éclairé sur une dimension essentielle du répertoire, celle de l’ambiguïté du sacré et du profane à Venise, d’une évidente interdépendance entre les deux et en même temps d’une opposition permanente. La princesse Constance de Polignac nous a également rejoints, mélomane et mécène de la musique dont la famille est évidemment fort liée à Venise par le Palazzo Polignac – les Polignac ont entre autre commandité un certain nombre de créations à la Biennale. Enfin, comme vous le savez les Anglo-saxons étant de grands amoureux de Venise et de sa musique, deux personnalités phares nous soutiennent : Lawrence Lovett, fondateur de Venetian Heritage, ancien membre du board du Metropolitan Opera et de la Chamber Music Society du Lincoln Center, et enfin Lord Browne of Madingley, que l’on ne présente plus. Mais il ne faut pas penser que les Italiens ne nous aident pas ! Parmi eux, la comtesse de Belgiojoso– de la famille Balthazar de Beaujoyeux (traduction française du nom), créateur du ballet de cour en 1581 pour Catherine de Médicis – et le comte Federico Spinola, grand mécène ultramontain. Parmi les vénitiens qui m’ont beaucoup soutenu, j’aimerais également citer les premiers à m’avoir encouragé dans cette aventure, le comte et la comtesse Zeno, descendants d’une famille patricienne qui compte notamment Apostolo Zeno (1668-1750), grand auteur vénitien, librettiste et inventeur de l’opera seria. Il est extrêmement motivant à notre équipe encore naissante d’avoir de tels soutiens.

Hall du Palazzo Mocenigo à Venise
© palazzo mocenigo

Le mécénat est-il plus simple en Italie qu’en France ?

Non bien au contraire. Il est plus compliqué car l’Italie, qui a moins l’habitude que les pays anglo-saxons d’avoir recours au mécénat, n’a pas le même cadre fiscal. Comme les subventions italiennes pour la culture sont en forte baisse, particulièrement celles de l’opéra, seul le mécénat peut aujourd’hui permettre de mettre en œuvre de nouveaux projets. Nous sommes actuellement dans une passionnante période de transition du milieu culturel occidental, un moment qui nous oblige à poser autrement la question du mécénat.

Comment est composée l’équipe du Centre ?

J’ai le plaisir de travailler à la redécouverte de ce répertoire avec mon incroyable collègue Giulio d’Alessio, directeur de production de la structure. Il est également manager d’Il Complesso Barocco et fondateur de l’agence artistique Tuma Productions. Notre Président Fabio Moretti est également très présent. Il ne remplit pas seulement un rôle honorifique, loin de là ! Par ailleurs, notre conseiller scientifique, Jean-François Lattarico, est un pilier pour les projets de recherche.

Lorsqu’on voit les énergies que fédère le Centre, le baroque est loin d’être mort en Italie. On peut même dire que son principal atout serait l’enthousiasme ?

Oh, mais il est loin d’être mort en Italie et à Venise, parce que, justement, il reste beaucoup de choses à y faire. Sincèrement, je n’aurais pas lancé un tel projet dans une autre ville. En fait, Venise est une ville toute petite avec cent fois moins d’habitants que les grandes capitales, mais elle possède une vraie dimension internationale, avec un public venant du monde entier, anglais, américains, allemands, français, asiatiques… et tous sont là en grande partie parce qu’ils aiment l’art.

L’objectif de la fondation, c’est le retour de la musique vénitienne à Venise ?

Pas seulement à Venise ! L’idée c’est vraiment de travailler sur la diffusion du répertoire. C’est ma démarche personnelle depuis toujours que de travailler sur des tournées. Quand on fait longuement répéter des artistes sur un nouveau projet, il est dommage que toute l’énergie déployée ne donne lieu qu’à un concert. Notre objectif est de montrer au public, à travers le monde, que Venise a vraiment tourné une page importante de l’histoire de la musique, que ce n’est pas anecdotique. L’enjeu est donc plus large que le public vénitien stricto sensu. Nous œuvrons systématiquement sur des programmes de tournées, dans une cohérence entre la recherche, la publication, les concerts et les enregistrements.

Parlons un peu de vous. Vous venez de la musique baroque ?

Olivier Lexa, créateur du Venetian Centre for Baroque Music
© dr

Oui, et c’est grâce à la musique baroque que j’ai connu Venise. C’était en 2001, cela fait donc exactement dix ans. À San Giorgio Maggiore,je participais à une master-class à la Fondation Cini sur les techniques d’improvisations au temps de Vivaldi et Benedetto Marcello. Je venais de commencer ma vie professionnelle. La rencontre avec cette musique fut un coup de foudre. Depuis, c’est un répertoire que j’adore. Je peux désormais continuer à étudier dans une ville que j’aime, après m’être enrichi d’autres expériences, ayant travaillé avec Benjamin Lazar d’une part, et dirigé deux structures aussi antinomiques que le festival Opéra des Rues et le Palazzetto Bru Zane. Venise m’a également permis de renforcer mon activité d’écriture. En juin, je ferai paraître deux ouvrages : mon roman Morceaux choisis chez Léo Scheer, et mon essai sur la musique vénitienne chez Elzeviro, exceptionnel éditeur vénitien.

D’où vient ce livre ?

J’ai passé un certain nombre d’heures en bibliothèque à la Marciana, à la Fondation Cini, à la Querini Stampalia, à la Casa Goldoni, au Conservatoire Benedetto Marcello pour essayer de me faire une idée en dehors de tout ce que nous savons sur l’opéra vénitien de Monteverdi à Vivaldi, de puiser la substantifique moelle et, surtout, de comprendre comment et pourquoi Venise a révolutionné la musique occidentale – comment, en quarante ans, une page s’est complètement tournée, nous faisant passer de la Renaissance au Baroque, pourquoi à Venise ouvrit-on pour la première fois des théâtres lyriques à un public payant, ce qui eut des conséquences profondes sur le genre lyrique naissant, des conséquences sur lesquelles l’opéra vit encore aujourd’hui. C’est à Venise qu’arrivent les premières réflexions sur les machines, sur le rapport au public, sur le fait de faire recette et donc sur l’économie du spectacle vivant. C’est à Venise aussi qu’on s’est posé les premières questions sur l’édition de la musique, inventée là encore à la fin du XVe siècle. Je me suis demandé quels sont les ingrédients de philosophie, d’histoire de l’art et de pensée – et pas seulement d’histoire de la musique – qui ont rendu possible dans cette ville et non pas ailleurs un évènement si extraordinaire. Le livre sera traduit en italien, par la suite en anglais, espagnol et allemand.

Quel répertoire vénitien allez-vous défendre ?

Claudio Monteverdi [portrait suivant, par Domenico Fetti (1589-1623)] et Antonio Vivaldi en définissent les bornes chronologiques, entre le début du XVIIe siècle et la moitié du XVIIIe. Quand on pense à la musique vénitienne de cette période, d’autres noms viennent à l’esprit, comme Cavalli, Caldara, Albinoni ou Marcello, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Notamment pour l’opéra où la période allant des années 1660 à 1680 est vraiment passionnante. Elle voit les derniers feux de l’opéra vénitien, de ce théâtre qui mêle comédie et tragédie avant l’émergence de l’opera seria et de l’opéra buffa napolitain. D’ailleurs l’opera seria vit le jour à Venise puisque Apostolo Zeno est son créateur, bien avant Métastase, ce qu’on ignore souvent. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un opéra est très représentatif de ce génie de l’opéra vénitien : l’Orfeo d’Antonio Sartorio (1673), situé entre le théâtre musical – tout ce que nous avons dans l’oreille de Monteverdi et Cavalli – et l’opera seria. Veaucoup de ses arie sont assez courtes, avec ce goût naissant pour les longues vocalises et la virtuosité vocale qui ne prend cependant pas encore toute la place. L’on y trouve un véritable orchestre qui dépasse le petit ensemble instrumental dont disposait Cavalli. De qualité, le livret présente une véritable intrigue. Nous ne sommes donc pas encore dans l’opera seria où la musique prime sur le théâtre. Au contraire, c’est une sorte d’équilibre parfait entre théâtre et musique. Mais ce n’est pas le seul répertoire sur lequel nous allons travailler. Nous évoquerons tous ces musiciens, comme Sacrati, Ziani, Cesti, Pagliardi, Pallavicino, Pollarolo, Gasparini ou Lotti, qui furent des compositeurs immenses, au-moins aussi connu que Cavalli, écrivaient des dizaines et des dizaines d’opéra et beaucoup d’œuvres religieuses et instrumentales. Pour ce genre, Giovanni Legrenzi est central à Venise : il est le véritable inventeur de la sonate en trio, avant Corelli.

protrait de Claudio Monteverdi conservé à l'Accademia de Venise
© accademia venezia

Pouvez-vous vraiment travailler avec ce que vous trouvez en bibliothèque ou est-ce une musique à réinventer ?

Comme vous le savez, les partitions, comme celles de Cavalli qui sont parmi les trésors de la Marciana, sont assez laconiques. Le meilleur exemple de ce qu’il faut réaliser sur ce répertoire est celui de René Jacobs avec la Calisto. Il a complètement ré-instrumenté une partie de la musique, car si l’on se limite à la partie matérielle existante, il n’y a pas grand chose. Il est difficile d’imaginer qu’à l’époque les organisateurs de concerts aient pu mobiliser des musiciens pour ne jouer que quelques ritournelles ; nous savons parfaitement que les artistes improvisaient et jouaient pendant tout le spectacle. C’est désormais une démarche que musicologues et musiciens ont l’habitude de faire. Il est aussi nécessaire de rassembler les sources qui ne sont pas uniquement à Venise. Je pense à Vivaldi, par exemple, dont le fond est à Turin, comme à d’autres compositeurs dont les partitions se trouvent en Allemagne, en Angleterre, à Paris ou dans d’autres villes italiennes comme Milan et Rome. Évidemment, l’objectif est de fédérer le réseau de chercheurs.

Apporter du rêve est donc pour le Centre un élément essentiel ?

En restant sur la partition, nous ratons toute une dimension à imprégner la musique. À l’époque, Venise était un monde parallèle. Ses habitants n’utilisaient pas tous la même heure, pendant six mois de l’année les gens y étaient masqués, ce qui permit une mixité sociale qui n’existait pas ailleurs en Europe. Ici, l’Eglise et l’Etat étaient séparés – un fait complètement original qui eut de nombreuses conséquences sur la vie quotidienne, la vie éditoriale et la production artistique. L’histoire et la richesse de Venise, où l’on vivait sur l’eau, étaient basées sur des échanges commerciaux avec le bassin méditerranéen et l’Europe du Nord. Cette ville vit l’avènement des grands voyageurs qui allèrent en Chine, comme Marco Polo, ou jusqu’au Canada, comme Nicolò Zeno. Ce monde, nous pouvons encore le deviner aujourd’hui en visitant la ville, mais en ressentant vite le besoinqu’on nous raconte et nous explique ce que nous voyons. En arrivant à Venise se laisse d’abord voir un décor d’opéra, au fond. Venise a été construite pour montrer quelque chose : l’une des finalités du Centre est de montrer comment et pourquoi Venise a été construite pour l’opéra.

Mettrez-vous en place des programmes pédagogiques ?

Nous avons créé une académie de jeunes chanteurs qui, chaque année, montera un ouvrage lyrique, avec une mise en scène ou en espace. Différents programmes pédagogiques sont en cours à Venise avec l’Ecole de musique ancienne qui fait un fort beau travail auprès du jeune public, mais aussi avec des scolaires. Nous souhaitons travailler également avec des jeunes qui ne connaissent rien de la musique et que peut émerveiller la découverte de ce répertoire qui fait partie de leurs racines. Sa dimension théâtrale s les y aidera, professionnels ou non. Si vous regardez un peu l’histoire : en France au début du règne de Louis XIV, les chanteurs étaient des comédiens et les comédiens des chanteurs ; finalement, on constate que c’est le même métier, qu’avant tout l’on est au théâtre. Aujourd’hui les artistes sont conscients de la vraie dimension du texte parlé. Dans l’opéra vénitien, il y a aussi du texte parlé, ce que l’on retrouve plus tard dans l’opéra-comique français, par exemple. Il y a une chose très particulière, à Venise : c’est le rapport entre la comédie et la tragédie.

La mise en scène a toujours occupé une place importante à Venise au XVIIe siècle. En sera-t-il de même dans vos projets ?

Pour l’instant, nous commençons un travail de recherche sur la scénographie à Venise. Une partie de mes propres recherches porte sur Giacomo Torelli, par exemple – pour Benjamin Lazar et sa future mise en scène de l’Egisto de Cavalli –, afin de bien comprendre comment Venise a inventé la scénographie moderne avec cet ingénieur de l’Arsenal. Au début, Torelli apprit à manier les cordes et les machines, mais il était également un intellectuel grand artiste qui construisit son premier théâtre à Venise en 1641, le Teatro Novissimo. Celui-ci possédait les premières machines, avec des systèmes de treuils et des roues qui permettaient les changements rapides et à vue des décors. L’on put avoir jusqu’à dix décors sur cette scène. Le fait que l’on soit à Venise obligeait de placer ces machines au-dessus des scènes et non en sous-sol, bien sûr. Il fallut améliorer toutes ces techniques, notamment les dragons, les animaux fantastiques, les disparitions. Tout cela est né à Venise. Non seulement Torelli fit ces décors, mais encore eut-il l’intelligence d’en faire publier les gravures qu’il dédia aux principaux souverains européens, dont Ferdinand de Médicis, le grand duc de Florence, grande ennemie de Venise – il avait conscience de l’envergure bien plus que vénitienne de ses inventions –, ainsi qu’au Cardinal Barberini à Rome, grand mécène de la musique qui fut à l’origine de productions lyriques et instrumentales majeures. Enfin, il vint à Paris et travailla au Palais Royal. Il fut le premier scénographe et metteur en scène des opéras représentés à Paris, comme la Finta Pazza de Sacrati et de ceux de Cavalli. Il fut le premier à mettre au point tout ce que l’on sait aujourd’hui de la machinerie et des décors. Vigarani, Bérain et tous ceux qui suivirent l’ont copié. Ainsi les planches du décor de Cadmus et Hermione par Jean Bérain sont-elles quasiment identiques à celles de la Finta Pazza. Enfin, Torelli a participé à la conception de l’imagerie louis-quatorzième pendant son séjour en France, par sa mise en scène du Ballet de la Nuit qui signait la victoire du roi sur les frondeurs, où le roi apparut en Soleil pour la première fois. Par la suite, Torelli travailla avec Molière pour Les fâcheux. Puis il fut banni pour avoir travaillé pour Fouquet et finit ses jours dans à Fano, sa ville natale, où il créa le Teatro de la Fortuna comme son théâtre idéal.

Quand et sous quelle forme mettrez-vous en place un festival ?

En 2011 s’articuleront différents évènements inauguraux. Dans un premier temps, il s’agira de concerts qui seront représentatifs de la mission que l’on mène et de l’histoire que l’on veut raconter. Leur thème sera L’Eveil des passionsIl Risveglio degli affetti –,la naissance de l’art baroque vénitien. Ce sera l’occasion, entre juin et septembre, de recevoir pour la première fois à Venise un certain nombre de grands artistes, une première pour eux qui, je l’espère, fera leur bonheur, celui des organisateurs, du public et de Venise.

reflet vénitien par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

Dans quels lieux ?

Les théâtres baroques ont tous brûlé. Nous ne pouvons donc pas jouer des opéras comme en leur temps. Les projets lyriques se réaliseront dans les Scuole grandi, magnifiques salles ayant une véritable histoire musicale. Je pense notamment à la Scuola di San Rocco où se sont exprimés Monteverdi et Cavalli. Nous adapterons le choix du lieu au répertoire. La musique de chambre et les madrigaux se donneront dans les Palazzi, comme cela se faisait alors. Nous avons la chance, là encore, que des propriétaires mettent à notre disposition des palais privés. C’est un point important pour la Fondation qui ainsi ouvrira des lieux qui d’habitude sont fermés au public, ce qui offre un intérêt particulier. Par ailleurs, nous travaillerons dans l’un des plus beaux palais de Venise, le Pisani, avec ses deux cours intérieures magnifiques pour les concerts de plein air. L’on investira également le Ridotto, la grande salle de jeu où se donnaient les opéras, du moins leurs meilleures scènes. Pour la musique sacrée, les églises ne manquent pas. Il y en a de très belles, à Venise, dont certaines ont des orgues magnifiques, ce qui permet de faire découvrir le répertoire de cet instrument.

Quelle place occuperont les instruments anciens ?

Beaucoup de choses ont été faites sur les instruments eux-mêmes. À Venise, il y a deux collections intéressantes. La première dans l’église San Maurizio, une exposition permanente d’instruments. La seconde dans le petit musée Vivaldi de la Pietà. Notre réflexion portera plutôt sur l’instrumentation. Aujourd’hui la tendance est de jouer les opéras du XVIIe siècle avec des orchestres étoffés, les représentations ayant lieu dans des salles bien plus grandes que celles des origines. Puisque nous les donnerons dans des lieux aux dimensions proches du contexte de leur création, nous reviendront à l’effectif d’alors. Se pose aussi la question du continuo. Certains concerts se feront avec un continuo sans clavier, ce qui se faisait beaucoup à l’époque, fonctionne bien dans les lieux vénitiens plus intimes et donne une autre couleur au répertoire.

Le Centre produira-t-il des disques ? De quelle manière avez-vous participé au lancement de Combattimenti, le dernier CD du Poème Harmonique ?

Le projet de ce disque était déjà très avancé avant que j’ai eu l’idée de créer le Centre. Je n’y suis absolument pour rien. C’est une idée de Vincent Dumestre. J’ai eu le plaisir de travailler sur la création du Combat de Tancrède depuis Venise. Comme j’étais sur place, Vincent m’a demandé de faire des recherches sur le contexte et la création au Palazzo Mocenigo. Ce CD souligne que Venise est à l’origine d’un style particulier : le stile concitato, la première utilisation, dans l’écriture, de pizzicati. Le Combat de Tancrède est un texte incroyablement théâtral, un opéra miniature à situer entre l’opéra et le madrigal sans être dans la même problématique que la représentation. Œuvre unique, c’est un peu la synthèse du savoir-faire de Monteverdi sur le recitar cantando, cette manière de faire du théâtre en musique. Sans aria, il croise le même rapport au texte chanté que les opéras de Lully – ou, beaucoup plus tard, Tristan et Pélléas. Il ne faut pas oublier que ces œuvres sont nées du recitar cantando italien du début du XVIIe siècle.

Pour conclure ?

Simplement dire que la création du Venetian Centre for Baroque Music est le fruit de rencontres merveilleuses. Ce n’est pas seulement un centre de recherche, mais aussi un festival qui dialoguera vraiment avec le public, lui racontera une histoire où imaginer ce que fût Venise.

À votre disposition, le site du Venitian Centre for baroque Music...