Chroniques

par laurent bergnach

Odyssée d’une vie
un portrait de Georg Solti

1 DVD C Major (2012)
711708
un film de Georg Wübbolt retrace la carrière du pianiste et chef Georg Solti

Prenant le nom de Solti (« habitant de Solt ») lorsque le pouvoir en place l’exigea, György Stern (1912-1997) étudie le piano à l’Académie Ferenc Liszt de la capitale hongroise où ses professeurs s’appellent Béla Bartók, Ernő Dohnányi et Leó Weiner – un compositeur plus marqué par Beethoven et Mendelssohn que par le folklore national, qui aurait également comme élèves les futurs chefs d’orchestre Antal Doráti et Ferenc Fricsay, ainsi que le compositeur György Kurtág. Avant la guerre, le jeune musicien remporte le Concours International de Genève (1942), trouve un emploi de répétiteur à l’Opéra de Budapest, assiste Toscanini au Salzburger Festspiele, mais, du fait de ses origines juives, doit s’exiler en Suisse et y survivre comme professeur de piano et chef remplaçant.

Vierge de toute affinité nazie, il réapparait comme directeur musical à la Staatsoper de Munich (1946), puis à Francfort (1952-1961), avant des années soixante résolument anglo-saxonnes : une saison à Dallas (1960-61), directeur musical du Royal Opera House de Londres (1961-71) et du Chicago Symphony Orchestra (1969-91). Soucieux de modernité, Solti met sur pied des premières régionales (Moses und Aron, Die Frau ohne Schatten, Billy Budd, etc.) et mondiales (symphonies de Lutosławski, Tippett, etc.). La décennie suivante est marquée par une collaboration suivie, mais teintée d’incompréhension, avec l’Orchestre de Paris, ou événementielle avec le Palais Garnier de l’ère Liebermann. Naturalisé citoyen britannique en 1971, Sir Georg partage le reste de sa carrière entre terrain connu (Londres, Salzbourg), découverte (Bayreuth) et création (Solti Orchestral Project, à destination de jeunes musiciens des USA, et World Orchestra for Peace, célébrant les cinquante ans de l’ONU).

Outre ses apparitions publiques (on en recense près d’un millier avec « le Chicago »), on compte plus de trois cents disques signés de cette « bête de studio » qu’est Solti, couronnés d’une trentaine de Grammy Award, depuis son premier morceau gravé comme chef à la tête du Tonhalle-Orchester Zürich – une prestigieuse formation née en 1868 qu’ont dirigée avant lui Wagner, Strauss et Hindemith, pour ne citer que les compositeurs. Parmi ces enregistrements, signalons notamment les opéras de Wagner (à l’exception de la trilogie de jeunesse), neuf de Verdi, six de Richard Strauss et l’intégrale des symphonies de Beethoven. Son ultime gravure est un retour aux sources : Bartók, Kodály et Wiener.

Regorgeant d’images d’archives, le film de Georg Wübbolt retrace avec clarté les grandes étapes de cette carrière, donnant la parole à l’intéressé, drôle et mordant, comme à une foule de témoins qui éclairent la personnalité d’un artiste chez qui, comme l’exprime Gergiev, le feu couve sous la glace. C’est d’ailleurs cette ambivalence qu’on retrouve dans le Prélude de Khovantchina (Moussorgski), la première des œuvres d’un programme russe offert en bonus, donné par le Chicago Symphony Orchestra en 1977. Vient ensuite la Symphonie en ré majeur Op.25 n°1 « classique » (1918) de Prokofiev qui entraîne l’auditeur aux confins du son, tant Solti se montre soucieux de contrastes et de relief. Le concert s’achève avec les énigmes et les mystères de la Symphonie en fa mineur Op.10 n°1 (1926) de Chostakovitch, des plus intrigantes.

LB