Chroniques

par laurent bergnach

Nikolaï Rimski-Korsakov
Садко | Sadko

2 DVD Bel Air Classiques (2021)
BAC 188
Timour Zangiev joue "Sadko" (1898), un opéra signé Rimski-Korsakov

Collectée auprès de bardes paysans aux XIXe et XXe siècles, la byline est un chant épique de nature orale qui célèbre un héros réel ou légendaire. On recense plus de deux mille de ces textes chantés qui offrent des dizaines de sujets différents et s’organisent en deux cycles à l’origine incertaine – noblesse guerrière médiévale ? Pèlerins ? Saltimbanques ? Celui de Kiev honore le prince Vladimir qui régna à la fin du Xe siècle, sans qu’il soit historiquement lié à tous les événements racontés. Ses chevauchées viriles à travers la vaste plaine de la Russie du Nord s’opposent aux voyages en bateau du cycle de Novgorod. Sadko en est le héros, joueur de gousli qui va concurrencer la richesse des marchands grâce aux interventions de divinités aquatiques.

« Vers le printemps 1895 je commençais à avoir prête une assez grande quantité de matériau musical pour Sadko ; le livret était presque achevé et même entièrement élaboré par endroits. Dans ce but j’avais pris connaissance d’un grand nombre de bylines, de chants, etc. que j’utilisai comme base » (in Nikolaï Rimski-Korsakov, Chronique de ma vie musicale, Fayard, 2008). Le compositeur, qui venait d’achever La nuit de Noël (1895), commence ainsi le récit d’une genèse contrariée par la fatigue, voire le dégoût, avec notamment l’écriture du livret sous l’œil bienveillant d’un érudit en littérature russe, Vladimir Bielski, puis la création in extremis du personnage de l’épouse, liée à « une sorte de nostalgie pour la tonalité de fa mineur ». L’ouvrage en sept tableaux voit le jour au Théâtre Solodovnikov, le 7 juillet 1898.

Filmée au Théâtre Bolchoï en janvier 2020 – soit une éternité, vue la perte de repères occasionnée en France par divers confinements et couvre-feu –, cette production permet à Dmitri Tcherniakov de revenir à la musique de Rimski-Korsakov [lire nos critiques des DVD La fiancée du tsar, La fille de neige et La légende de la ville invisible de Kitège]. Par le biais d’un parc à thème, un quidam joue Sadko sans aucun déguisement, contrairement aux acteurs qui l’entourent, tous plongés dans l’ancien temps – costumes d’Elena Zaitseva. Pour amplifier cette mise en abyme temporelle, cette approche distanciée, Tcherniakov intègre des éléments de décors peints jadis par Apollinaire Vasnetsov (1901), Constantin Korovine (1906), Vladimir Egorov (1912), Ivan Bilibine (1914), Nicolas Roerich (1920) et Fedor Fedorovski (1949). Mais on le sent peut inspiré par le sujet qu’il traite souvent avec un kitsch effarant (le ballet sous-marin), épuisant le public par des gesticulations qui n’empêchent pas l’ennui. À sa décharge, la fosse n’est pas plus passionnante : avare de finesses, Timour Zangiev offre une lecture brouillonne et empesée qui ne répond pas aux chatoiements attendus.

Pour nous consoler de la déception d’une féérie ratée, il reste une distribution impeccable. Nazhmiddin Mavlyanov, solide rôle-titre, rencontre successivement Iouri Minenko (Nezhata), contre-ténor nuancé d’un grand souffle, le duo irréprochable formé par Mikhaïl Petrenko (Whistle) et Maxim Paster (Fife), puis le trio de marchands : Dmitri Ulyanov, ample Varège – nom donné aux Vikings de Suède par les Slaves orientaux –, Alexeï Nekloudov, Indien clair, et Andreï Zhilikhovsky, Vénitien vaillant, très timbré. Stanislav Trofimov incarne un Roi des mers fort expressif. Leurs consœurs ne déméritent pas, et l’on goûte avec grand plaisir le chant facile et limpide d’Aida Garifullina, celui bien mené d’Ekaterina Semenchuk, au phrasé si généreux.

LB