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Chroniques
Morton Feldman
Quatuor à cordes n°1
Le Quatuor à cordes de Morton Feldman (1926-1987) suit une décennie de composition intense durant laquelle le musicien fut constamment occupé par une nouvelle pièce d'orchestre. Ainsi, une quinzaine d'œuvres virent le jour durant les onze années précédentes – de On Time and the Instrumental Factor (1969) à Violin and Orchestra (1979) – alors que comparativement, pour le même effectif, les huit dernières années de sa vie livrèrent seulement trois pièces. À partir de l'écriture de ce quatuor, l'intérêt de Feldman s'est presque exclusivement tourné vers la musique de chambre – déjà bien présente, notamment sous forme de cycles, dans les années cinquante (Extensions, Projection), soixante (Durations) ou soixante-dix (Instruments). Sensible à l'expressionnisme abstrait de Rothko et Pollock, à la notion du temps chez Proust, l'homme se disait intéressé par « l'idée d'échelle », ce qui annonce assez sa volonté de recherche hors de toutes « paraphrases de la mémoire ».
Créée le 4 mai 1980, au Drawing Center de New York, par le Colombia Quartet – dont on retrouve ici l'un des membres, le premier violon Benjamin Hudson, aux côtés de Carol Zeavin, Lois Martin et Joshua Gordon (The Group for Contemporary Music) –, reprise un mois plus tard au festival de Buffalo, puis en février 1981 au Festival CalArts de Musique Contemporaine, cette partition, qui dépasse l'heure et demi, est aussi connue sous le surnom de Quatuor cent minutes. Feldman revient à des durées un peu plus conventionnelles, jusqu'à cette composition sans titre pour violoncelle et piano, de plus de soixante-dix minutes – qui deviendra Patterns in a Chromatic Field, après révision et création, le 13 mai 1981 –, ou encore Triadic Memories pour piano (23 juillet 1981), page de quatre-vingt dix minutes dont l'abord n'est indiqué par aucuntempo. Ce n'est rien à côté des presque six heures du Quatuor à cordes n° 2 (1983) !
À cette époque, le langage harmonique de Feldman subit l'influence de Webern dont, avec celui de Varèse, il admire le travail. Pourtant, il ne suit pas les principes stricts de la série pour ordonner la gamme chromatique, commençant plutôt avec un sous-ensemble chromatique qu'il utile comme matériau de base. Si certains ont critiqué le minimalisme et la monotonie de cette musique, d'autres ont préféré y voir sérénité et douceur. Ce à quoi l'intéressé répond : « Ce qui est doux, ce sont les connections. Ma musique est du même niveau sonore qu'un quatuor de Schubert. Si les choses semblent calmes, c'est parce que les liens sont plus longs. Ma musique ne possède pas cette harmonie romantique ou classique qui est comme de la colle. Et c'est cette colle qui empêche tous les bruits extérieurs d'y pénétrer » – bruits dont le silence fait bien évidemment partie.
LB