Chroniques

par bertrand bolognesi

Modeste Moussorgski
Boris Godounov

1 coffret 3 CD Membran International (2004)
221758-348
Modeste Moussorgski | Boris Godounov

Pour tous ceux qui voudront comparer les versions de Boris Godounov, celle-ci présentera un intérêt certain. Outre qu'on y retrouve l'un des grands interprètes du rôle titre, l'ensemble de la distribution est satisfaisant et particulièrement bien choisi. Cet enregistrement se caractérise par la présence des voix qu'il emploie, souvent très projetées, quelquefois presque énormes. Autre particularité : les chanteurs assument plusieurs rôles, y compris les principaux. Ainsi s'étonnera-t-on d'entendre Boris Christoff en Boris, bien sûr, mais aussi en Pimène, et même en moine bélître Varlaam !

Cette prise a été effectuée en 1952. L'Orchestre National de la Radiodiffusion Française n'est pas toujours d'une justesse très avérée, mais brille par des couleurs et une interprétation de grande classe. À sa tête, Issay Dobrowen conduit une lecture très soignée, suivant pas à pas la dramaturgie de l'ouvrage, en bonne intelligence avec le livret. Certains choix sont personnels, comme la lenteur des accords qui ouvrent le Second Tableau de Prologue. L'espacement qui s'en suit suspend l'écoute, alors que la sonnerie de cloches qui suit se précipite vertigineusement. On pourrait multiplier les exemples pour décrire une interprétation excitante et riche.

Une ombre : le Chœur Russe de Paris... À parler franchement, il n'est pas un passage réellement juste, de nombreux décalages viennent saper le travail d'ensemble, et le rare avantage qu'il offre est de remplir ses fonctions de peuple, dans cette sorte de désordre, d'effervescence et de turbulence qui deviendra intéressante dans la révolte finale. En revanche, les interventions en groupes restreints sont affreusement savonnées, et le passage des rires du Prologue dégénère en catastrophe.

Côté voix, et plus en détail, le timbre ample et chaleureux de Kim Borg apporte une présence évidente à Chtchelkalov, et joue un Rangoni discret d'une voix volontairement retenue. André Bielecki campe un Chouiski nasillard, presque geignard, d'une grande perfidie (la voix est cependant un peu fatiguée), le Xenia de Ludmilla Lebedeva est plutôt vieux style, souvent criée, en minaudant sans relâche. Eugenia Zareska fait l'enfant (Fiodor) avec beaucoup plus de subtilité, d'une voix flatteuse, et chante plus tard Marina avec le panache requis. Elle s'avère une partenaire idéale pour le duo magnifique de la Chanson de la Poule avec Lydia Romanova qui propose une Nourrice idéale, et forme un couple de rêve avec le Grigori au timbre de velours, d'une douceur et d'une clarté inégalées, de Nikolaï Gedda. Le grand ténor offre ici un organe d'à peine vingt-sept ans, d'une forme éblouissante. Enfin, Boris Christoff compose un Tsar spectaculaire d'une voix profonde aux aigus cuivrés. L'instrument est rien moins que royal, parfaitement homogène sur toute la tessiture. En grand artiste, il différencie les trois personnages qu'il chante pour l'occasion, et s'en donne à cœur joie en Varlaam, parfaitement truculent. Son Pimène est insuffisamment nuancé et moins crédible.

Un document globalement enthousiasmant.

BB