Chroniques

par laurent bergnach

Mieczysław Weinberg
Пасажирка | La passagère

1 DVD NEOS (2010)
51006
La passagère, opéra de Mieczysław Weinberg, au Bregenzer Festspiele 2010

Au début des années soixante, sur un paquebot transatlantique en route vers le Brésil, le diplomate allemand Walter entame une seconde lune de miel avec Lisa qu’il a épousée il y a une quinzaine d’années (elle a trente-quatre ans, lui la cinquantaine), sous l’œil d’un chœur d’hommes polyvalent – passagers ou prisonniers, mais toujours spectateurs. Soudain, Lisa croît reconnaître une femme qui devrait être morte à l’heure actuelle. Bouleversée, elle révèle une part de son passé à son mari effondré : à dix-neuf ans, prise dans la tourmente du nazisme, elle a été surveillante SS à Auschwitz. La passagère pourrait être Marta, une Polonaise que Lisa engageait à la surveillance d’autres prisonniers.

Conçus par le librettiste Alexander Medvedev à partir de la nouvelle homonyme de Zofia Posmysz, les deux actes et l’épilogue de La passagère alternent scènes concentrationnaires et maritimes, renseignant peu à peu sur ce qui s’est passé entre les deux femmes, suite aux retrouvailles inespérées de Marta avec son fiancé Tadeusz. Violoniste, ce dernier amène immanquablement à évoquer les parents et la sœur de Mieczysław Weinberg – ou Vajnberg, ou Vainberg (1919-1996) –, musiciens assassinés au camp de travail forcé de Travniki (Травники) en 1943. Lui-même serait arrêté en 1953 par des antisémites moscovites, et n’échapperait au pire que grâce à la mort de Staline. C’est en 1967-68 qu’il livre son Opus 97.

« L’un des héros de la nouvelle, commente Chostakovitch en 1974, en admirateur et intime de Weinberg, se voit attribuer dans l’opéra le métier de musicien. Apparemment, il s’agit d’un détail insignifiant. C’est grâce à ce détail pourtant que le thème de l’art fut introduit dans l’opéra, enrichissant ainsi sa structure conceptuelle et permettant aux auteurs de réaliser la scène du concert à Auschwitz, point culminant de l’ouvrage [huitième et dernier tableau, ndr]. Dans cette scène, il n’y a que de la musique, pas de paroles. Et c’est la musique qui décide de l’issue du duel psychique entre la surveillante Lisa d’une part, Marta et Tadeusz de l’autre, duel dans lequel Lisa succombe. »

Créé en version de concert à Moscou à Noël 2006, l’ouvrage est filmé au Bregenzer Festspiele en 2010, lors de sa première rencontre avec la scène, en coproduction avec Varsovie, Londres et Madrid. À la tête des Wiener Symphoniker, Teodor Currentzis se montre à l’aise dans les passages légers à la Britten, qui bannissent tout envahissement, ceux plus tendus qui rappellent le créateur de Lady Macbeth de Mzensk, ou encore ceux pétris de lyrisme, comme lors du premier chant de Marta qui s’interroge sur la bonté, réelle ou feinte, de Lisa.

Dirigés avec précision par David Pountney, les chanteurs s’y révèlent tous efficaces, en particulier le quatuor amoureux : le mezzo Michelle Breedt, Lisa évidente, le ténor Roberto Saccà, Walter vaillant accompagnant la phrase, le baryton Artur Ruciński et le soprano Elena Kelessidi, magnifique Marta dont la voix se déroule toute seule. Compagnes d’infortune de cette dernière, citons Svetlana Doneva (Katia), Angelica Voje (Krzystina), Elżbieta Wróblewska (Vlasta), Agnieszka Rehlis (Hannah) ou encore Talia Or (Ivette) qui chantent le plus souvent dans la langue de leur personnage.

LB