Chroniques

par laurent bergnach

Michelle Biget-Mainfroy
La musique à l'épreuve des mots

Symétrie (2010) 236 pages
ISBN 978-2-914373-47-0
restituer par des mots les sentiments éveillés lors d'un concert

Dans une lettre datée de 1838, Heinrich Heine – ancien élève de Hegel, et journaliste autant que poète – s'interroge :

« Mais qu'est-ce que la musique ? Cette question m'a occupé hier au soir pendant des heures avant de m'endormir. C'est une étrange chose que la musique ; je dirais volontiers qu'elle est un miracle. Elle est entre la pensée et le phénomène ; elle plane entre l'esprit et la matière, apparentée à tous deux, et pourtant différente de tous deux ; elle est esprit, mais esprit qui a besoin de la mesure du temps ; elle est matière, mais matière qui peut se passer de l'espace. Nous ne savons pas ce qu'elle est. »

Déjà présent dans le travail des encyclopédistes, ce mystère de l'essence musicale se trouve exacerbé à l'époque romantique qui, de chaque côté du Rhin, abdique toute prétention à la rationalité. Désormais, « les sons ne sont pas l'expression de la chose, ils sont la chose même », et l'art vocal cède du terrain à l'instrumentalité pure, cette dernière offrant un espace vierge à chacun. Romans, chroniques, courriers ou confessions en portent la trace : évoquer l'expérience musicale, ce n'est plus le faire en théoricien, c'est parler d'émotions, et donc de soi.

Compositeurs, peintres, esthètes, tous s'efforcent de restituer par des mots les sentiments éveillés lors d'un concert. À coté de la pudeur et de la retenue, on trouve dans ces écrits lyrisme, emphase et ironie, au point que certains, à l’instar de Mendelssohn, réclament des « éloges raisonnés ». La critique sera bientôt l'affaire de professionnels, mais comment calmer alors des âmes convaincues du pouvoir presque sacré de la musique, avec Beethoven comme guide spirituel ?

Spécialiste du XIXe siècle musical, Michelle Biget-Mainfroy en propose ici un portrait passionnant et détaillé, nourri de citations à chaque page, où apparaissent des idées qui défient le confort/misme bourgeois – rejet de l'école italienne, du « programme », de la vogue, du standing, etc. – pour enrichir art et civilisation réunis, grâce à l'expression personnelle, symbolisée par le soliste virtuose.

LB