Chroniques

par laurent bergnach

Mauricio Kagel
Acustica

1 CD Printemps des Arts de Monte-Carlo (2021)
PRI 036
Acustica, de Mauricio Kagel, joué à l'Opéra de Monte-Carlo en 2007

Né à Buenos Aires et décédé à Cologne où il s’était installé à la fin des années cinquante – attiré par le Studio électronique du Westdeutscher Rundfunk –, l’Argentin Mauricio Kagel (1931-2008) laisse quelques deux cents opus qui forment une œuvre riche et variée où différents médias sont explorés (scène, radio, cinéma), renouvelant le matériau sonore (électroacoustique, musique concrète, etc.). Il suffit d’évoquer Charakterstück (1971) pour quatuor de cithares, ou Sankt-Bach-Passion (1985), pour comprendre à quel audacieux nous avons affaire, qui aimait à dire : « j’aime bien écrire de la musique qui stimule la pensée et qui est à compléter par la pensée » (notice du CD).

Créé dans sa ville adoptive en 1970, Acustica se présente comme une pièce pour sources sonores expérimentales et haut-parleurs. Les premières sont nombreuses, venues d’abord d’instruments joués de façon inhabituelle – pavillon du trombone relié par un tuyau à une bassine d’eau – ou liés à d’autres cultures, à d’autres temps – violon à pointes de fer, rhombes, crécelles à cinq lamelles, clavier de castagnettes géantes, etc. Plus généralement, les sons viennent d’objets manufacturés – talkie-walkie, jouets, papier, etc. – ou inventés pour en produire – flûte de Pan en métal, boîte remplie de pierres ou de clous, etc. L’amplification et la diffusion apportent la touche finale à ce « théâtre instrumental ».

Ce disque réédite une captation réalisée au Printemps des Arts de Monte-Carlo en 2007, préalablement gravée par Zig-Zag Territoires (ZZT 080403). Ses interprètes sont liés au TAM (Theater am Marienplatz, fondé à Krefeld en 1976) : Gereon Bründt, Björn Kiehne, Gervin Kothen, Alfred Pollmann et Pit Therre – Mauricio Kagel se chargeant de la bande magnétique. Ils ont consigne de réduire leurs expressions corporelles (regard, sourire) pour livrer ce labyrinthe de bruits qui stimulent l’imagination (jungle, temple, atelier, etc.). En revanche, ils sont libres d’établir l’ordre d’actions déterminées de façon précise, ce qui génère autant de versions qu’il existe d’exécutions – deux sont ici disponibles.

Acustica s’avère aussi ouvert à l’interprétation. En l’inscrivant dans le champ politique et social qui intéresse Kagel, le musicologue Guillaume Kosmicki en souligne le pessimisme : « l’œuvre peut donner l’image d’un monde déshumanisé, celui de la société du spectacle et de consommation alors en pleine explosion, où chaque action individuelle ne participe plus à l’effort collectif pour avancer. Il y a quelque chose de mécanique et de subi dans ces actions qui ne se coordonnent apparemment pas. Les gestes sont égoïstes et absurdes, c’est la fin du voyage commun » (in Musiques savantes (1963-1989), Le mot et le reste, 2014) [lire notre critique de l’ouvrage].

LB