Chroniques

par david verdier

Marin Marais
pièces pour viole de gambe et théorbe

1 CD Ramée (2013)
RAM 1205
Marin Marais | pièces pour viole de gambe et théorbe

Instrument de la danse et de la méditation, la viole de gambe connut sous Marin Marais – comme l’on pourrait dire du règne d'un monarque – une apogée de styles et de techniques inégalée. La bienséance du Grand Siècle cède à l'intimité du dialogue qu'instaure l'instrument avec l'auditeur. Peu extraverties et démonstratives, ces danses non dansées invitent à une chorégraphie mentale et mémorielle, faite d'images et de gestes. Ancienne élève de Wieland Kuijken au Conservatoire royal de La Haye, Mieneke van der Velden poursuit chez Ramée une belle série d'enregistrements, parmi lesquels une remarquable anthologie de musique française avec le claveciniste Glen Wilson ainsi que des cantates allemandes anciennes avec la baryton-basse Peter Kooij. Le timbre riche de sa basse de viole signée Antoine Despont (1617) lève le voile sur des mondes imaginaires d'une infinie beauté. Le théorbe de Fred Jacobs règle au cordeau des interventions d'une noble sobriété, n'hésitant pas à introduire à trois reprises des pièces de Robert de Visée et d’Estienne le Moine en guise de préambule soliste.

Les pièces sont ici regroupées par tonalités (ré majeur, sol majeur, mi mineur, do majeur et fa majeur). La Première Suite, extraite du Livre II, diffuse une couleur sfumato très proche d'une vocalisation italianisante (Prélude et Sarabande). Dans le Ballet en rondeau qui conclut la pièce, on admire la palette d'attaques et de coups d'archet.

La Sixième suite du Livre V est enrichie d'extraits de la Quatrième du II (Sarabande « La Désolée » et la célèbre Chaconne en rondeau). Le vibrato altier de la musicienne néerlandaise soigne la circulation des thèmes en accord avec l'alternance des positions et les cordes à vide. Cette résonance en liberté trouve dans la carrure rythmique du théorbe un admirable soutien sans faille.

Avec la Septième Suite du Livre V, on aborde au sombre rivage d'une pièce réflexive qui jamais ne s'altère en molle nostalgie. Le Prélude de Robert de Visée donne le ton et la couleur générale. Par une série de modes variés l'archet exprime l'expressivité douloureuse d'une leçon des ténèbres qu'on aurait libérée de son texte chanté. En jouant sur les différences de pression et la distance chevalet-touche, le flux imite la vocalité et le parlando déclamatoire. Si les énigmatiques Resveries mesplaiziennes ont perdu leur signification, elles n'en restent pas moins le diamant noir de ce disque. Modèle d'équilibre et de plaisir expressif, elles relèguent au second plan l'écriture esthétisante et bucolique de La Muzette et La Simplicité paysanne.

L'interprétation de la Troisième Suite du Livre III efface les contrastes afin de donner une homogénéité générale des couleurs et des lignes. À l'exception de la célèbre Arabesque du Livre IV, « Suitte D'un Goût Étranger », on devra attendre la pluie de notes de la chaconne finale pour que le rythme de la danse réapparaisse dans un sourire furtif.

DV