Chroniques

par bertrand bolognesi

Ludwig van Beethoven
pièces pour violoncelle et piano

1 CD Naïve (2004)
V 4995
Ludwig van Beethoven | pièces pour violoncelle et piano

Deux ans après sa publication d'un premier disque consacré à l'œuvre pour violoncelle et piano deBeethoven, Naïve livre aujourd'hui un second volume où l'on retrouve Anne Gastinel et son Testore de 1690, etFrançois-Frédéric Guy. La Sonate en fa majeur Op.5 n°1 s'ouvre par un Adagio presque recitativo, où l'on appréciera cette sorte de langueur, d'indolence, de nonchalance oisive du violoncelle qui soudain semble vouloir imiter le caractère plus volontaire de l'instrument partenaire. Les deux artistes maîtrisent parfaitement les différentes attaques, de sorte que les jeux croisés entre sécheresse et moelleux sont ici magnifiquement rendus, dans une respiration évidente. Le toucher de François-Frédéric Guy s'avère très délicat lorsque le thème s'impose, articulant des ornements minutieusement perlés dans une pâte sonore savamment entretenue. Dans sa globalité, l'interprétation du mouvement est habitée d'un enthousiasme qui fait plaisir à entendre, sans que l'énergie s'égare jamais. Le Rondo s'annonce avec esprit et élégance, en soulignant le génie propre à Beethoven : comment fait-il pour associer deux mouvements d'un caractère semblable sans fatiguer l'écoute ? Voilà une audace qui n'a certes rien de conforme au classicisme d'alors.

Dès l'Allegro ma non tanto de la Sonate en la majeur Op.69 n°3, Anne Gastinel affirme un violoncelle qu'on pourra dire viril, usant de contrastes accusés. L'architecture du mouvement est rendue avec un naturel étonnant, sans ostentation ni pédagogie, cela dit. Dans le Scherzo, on remarquera l'entrée un rien bougonne du piano, relevant l'exquise douceur du violoncelle, dans une sorte d'urgence. L'Adagio est finement nuancé, offrant une brève halte avant l'Allegro vivace, ici trépidant, qui coiffe l'édifice.

Beethoven a écrit trois séries de variations pour violoncelle et piano qui viennent compléter ce programme. Dans celles en mi bémol majeur sur « Bei Männern, welche Liebe fühlen » d'après « Die Zauberflöte » de Mozart, l'aigu quelque peu précaire du violoncelle n'est pas toujours heureux, introduisant une sonorité aigrelette qui nuit à la tendresse naturelle du thème exploité. La première variation est assez distante, la troisième manque d'unité, avec de gênants soucis de justesse, alors que la suivante révèle un équilibre idéal du médium et du grave, et que l'espièglerie de la cinquième est tout à fait réussie. Dans les deux dernières, la délicatesse de François-Frédéric semble annoncer Schubert, dans une couleur parfaitement maintenue.

Les douze Variations en fa majeur sur « Ein Mädchen oder Weibche », thème calmement débonnaire extrait lui aussi de La flûte enchantée, invitent les interprètes à un certain humour. Ainsi le lyrisme un peu ampoulé de la troisième variation, les deux accompagnements qui se frôlent sans parvenir à se rencontrer de la quatrième, et jusqu'à cette poussée de sale caractère de la cinquième où Beethoven semble jouer à Beethoven, comme bien souvent. Anne Gastinel et François-Frédéric Guy désignent discrètement ce que la septième peut avoir de drôle, s'avérant tendrement mélancoliques dans la dixième, enfants boudeurs dans la onzième, comme pour mieux s'engager dans un chant éblouissant qui reprend ses droits avec beaucoup de fraîcheur dans la dernière.

Le thème See the conqu'ring hero comes tiré de l'oratorio Judas Maccabeus de Händel ne manque pas d'une certaine pompe, à partir de laquelle Beethoven a construit Douze variations en sol majeur, constituant un opus avant tout virtuose, où l'on admirera le chant nourri du violoncelle, l'ornementation du piano, un certain sens théâtral à partir de la neuvième variation. Les protagonistes en offrent une lecture intelligente et fiable, qui s'achève par une minute littéralement bondissante. Bondissant – à bien des égards, l'adjectif qui définira ce disque !

BB