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Chroniques
Ludwig van Beethoven
intégrale des quatuors à cordes (vol.1)
Ce disque constitue un nouveau jalon et également un nouveau défi pour le talentueux Quatuor Belcea. Les musiciens réunis autour de Corina Belcea-Fischer s'étaient signalés il y a dix ans dans un superbe enregistrement Janáček, à l'époque où ils étaient sous contrat chez EMI.
Au moment de la signature avec Zig-Zag Territoires, ils auront eu la main heureuse en recrutant l'ingénieur du son et le producteur qui avait contribué à leurs précédents succès. Pour la première fois, nous entendons le Franco-suisse Axel Schacher et le Français Antoine Lederlin, respectivement second violon et violoncelliste, qui ont remplacé Laura Samuel et Matthew Talty. Captés en concert au Britten Studio d'Aldeburgh, ces disques restituent l'aisance fascinante des interprètes à concentrer le grain sonore et jouer de toutes les dimensions de la densité timbrique. Formés à bonne école par le quatuor Alban Berg notamment, on retrouve cet équilibre des voix médianes allié à une volonté et une autorité instrumentale stupéfiante. Si l'on peut affirmer qu'on ne peut pas aborder les quatuors de Beethoven sans faire du style une affaire de vision, ces archets-là ont ce qu'il faut d'aspérité pour que l'idée accroche à la matière sonore.
À la présentation chronologique, ils préfèrent un couplage qui met en lumière les caractéristiques de l'écriture en soulignant sa modernité. Les alliages harmoniques de La Malinconia du Quatuor en si bémol majeur Op.18 n°6 répondent à l'Adagio de celui en mi bémol majeur Op.127 n°12 dans le même traitement pictural en forme de travelling sonore qu'on imagine s'élever potentiellement aux confins de la tonalité. La justesse des intonations et du vibrato créent naturellement une richesse émotive distincte de l'intention d'émouvoir. C'est assez rare pour le souligner, le flux est ici abordé comme élément à part entière de la pensée musicale des quatre interprètes. Ils savent comme personne le combiner à l'humilité et au sentiment, un peu à la manière du Quatuor Italiano (mais dans un style plus « contemporain ») ou des Talich de la première époque (pour la sobriété du propos).
Rien d'étonnant à retrouver dans l'Adagio introductif du Quatuor en ut # mineur Op.131 n°14 cette anamnèse de notes sans rien d'extérieur à sa propre mise en valeur qu'un travail d'articulation en focalisation interne. Les Belcea nous transportent de la blancheur étale de cette terra incognita aux rugosités violentes et obstinées du Presto et du finale (Allegro), lointain écho à la cruauté des eaux-fortes de l'Allegro con brio du Quatuor en fa mineur Op.95 n°11. Les ruades maestoso vivifient et réjouissent l'écoute avec, à la clé, une véritable polyphonie fort aérée. L'éruption vif-argent, insaisissable, dans le finale (Allegro molto) de l'ultime Razoumovski (Quatuor en ut majeur Op.59 n°3 [n°9]) est absolument remarquable et propulse les musiciens au sommet de ce qu'on put entendre de meilleur depuis des années.
Écoutez enfin dans l'Adagio du premier quatuor de l'opus 18 cet archet qui dessine à fleur de corde un intervalle de septième surgi d'un arrière-monde oublié, pour réaliser comment Beethoven sut utiliser le silence pour mettre de la pensée entre les notes et jouer avec les fureurs rentrées de cette eau qui dort. Ce premier volet annonce une intégrale de tout premier plan qui redécouvre à travers l'éclairage dramatique des lignes mélodiques la vertu classique d'un nouveau rapport au temps musical.
DV