Chroniques

par laurent bergnach

Ludwig van Beethoven
intégrale des quatuors à cordes

1 coffret 5 DVD EuroArts (2014)
2072668
Le Quatuor Belcea offre une intégrale Beethoven, à Vienne, en mai 2012

À partir de l’époque classique, le quatuor à cordes garde une trace des principes musicaux de son époque tout en offrant aux compositeurs de prouver leur habileté, aux musiciens d’affirmer leur virtuosité… et à la noblesse de palier à la dissolution d’ensembles privés devenus onéreux. En précurseur, Joseph Haydn utilise les cordes pour créer textures et sonorités nouvelles et attrayantes. Ludwig van Beethoven (1770-1827), qui fut son élève en contrepoint, va lui aussi réfléchir aux possibilités de ce genre nouveau d'animer les salons viennois, encouragé par la fréquentation de son confrère Emanuel Alois Förster et du violoniste Ignaz Schuppanzigh. Ayant révisé son premier essai, il confie dans un courrier daté de juillet 1800 : « […] ce n’est que maintenant que je sais m’y prendre avec la composition des quatuors ».

Les seize qu’il écrit s’étalent sur la seconde moitié de son existence. L’opus 18 en compte six, en réponse à une commande du Prince Lobkowitz, passée sans doute avant la fin de l’hiver 1799. Les trois de l’opus 59, connus sous le nom de Quatuors Razumovsky, datent de 1806. Les opus 74 Les harpes et 95 sont une transition vers la période tardive du musicien, conçus autour de 1810. Marquée par la traversée d’épreuves (dépression, surdité, etc.), cette dernière offre une singularité : du printemps 1824 à novembre 1826, Beethoven se consacre exclusivement à l’écriture de quatuors, en l’occurrence les opus 127, 130, 131, 132 et 135, méconnus de son vivant, où les influences de Haydn et de Mozart s’inclinent devant l’innovation – l’annonce de Bartók, Stravinsky, voire Schönberg, pour d’aucuns.

Il faut aussi évoquer l’opus 133 qui est la version voulue par Beethoven avant qu’Artaria, son éditeur, le supplie de trouver à l’opus 130 un autre final que cette Grande fugue qui déstabilise le public de la première, le 21 mars 1826. Altiste des Belcea, Krzysztof Chorzelski explique : « avec la fin de remplacement d’esprit plus léger, le centre de gravité se déplace vers la Cavatine, tandis qu’avec la Grande fugue, il est difficile de parler de « centre de gravité » puisque cette pièce est une sorte d’explosion nucléaire, à mon sens, destinée à menacer l’idée même de structureet de gravité ».

Beethoven accompagne la formation londonienne depuis la première répétition de 1994, et certains avouent même l’influence de l’opus 131 sur leur choix de carrière. Durant la saison 2011/2012, ses fondateurs décident une immersion complète, avec l’enregistrement d’une intégrale dont quatre DVD rendent compte de l’interprétation magnifique (Wiener Konzerthaus, Mozartsaal, mai 2012). Un documentaire de cinquante minutes s’y ajoute, qui s’éloigne peu à peu de la carte postale viennoise pour donner la parole à Corina Belcea, Axel Schacher (violons), Antoine Lederlin (violoncelle) et Krzysztof Chorzelski. Au fil des répétitions sont évoquées la tension d’un marathon-Beethoven de douze jours mais aussi l’amitié nécessaire à faire tenir ce « mariage sans amour » qui unit des esprits tant affirmés que respectueux.

LB