Recherche
Chroniques
Ludwig van Beethoven
Symphonies n°1 à n°9
À observer les brochures de saison de nombreuses salles de concert et orchestres, qu’il s’agisse des grandes formations internationales ou de phalanges plus modestes, l’œil toujours est frappé par l’omniprésence des symphonies de Beethoven. Trouvera-t-on quelque auditorium au monde qui n’en programme pas au moins deux ou trois, souvent plusieurs fois la même, d’ailleurs, quand ce n’est pas franchement une intégrale par tel chef, voire plusieurs cycles complets que se distribuent au hasard différents artistes ? Outre le besoin du public de revenir régulièrement aux fondamentaux, encore la vie d’un orchestre nécessite-t-elle qu’on entretienne ce socle qui non seulement maintient les acquis mais permet de les transmettre aux nouveaux pupitres, au fil du temps. Jouer les symphonies de Beethoven, ce n’est pas faire le bilan mais plutôt réunir les atouts d’une technicité toujours plus performante à ceux de l’expérience et de la tradition. Le faire dans le cadre d’une intégrale, c’est s’assembler, plus que jamais, pour vivre l’orchestre. C’est ce que firent les musiciens du Koninklijk Concertgebouworkest, distribuant les neuf opus en quatre rendez-vous qui s’échelonnèrent sur deux saisons, du 11 mai 2013 au 21 février 2014. Pour ce faire, ils retrouvaient Iván Fischer qui volontiers les dirige depuis plus de vingt-cinq ans.
Instrument prestigieux – cela ne fait aucun doute, et ces captations le confirment –, dans les mains du chef hongrois qui façonne une version toute personnelle du vaste corpus beethovénien, affranchie des fausses traditions. Voilà qui justifie en soi la restitution de ces quatre moments qui nous mènent de 1800 à 1824, distribuée en trois DVD montés par Dick Kuijs et parus en coffret chez RCO Live, le label du fameux orchestre amstellodamois.
Les caractères les plus évidents de cette intégrale sont la souplesse générale, voire la liberté de l’inflexion, toujours inventive, une élégante fermeté, des conclusions qui ne pontifient pas, enfin l’impératif auquel aucun mouvement ne déroge. Aucune dureté mais au contraire une caresse énigmatique habite l’étrange cadence du tout premier adagio. La Symphonie en ut majeur Op.21 n°1 avance un Andante cantabile sur coussin d’air, un Menuetto bondissant que saupoudrent des violons diaphanes, un Finale frémissant. Sans se départir de l’indicible moelleux de la pâte sonore, Fischer dessine nettement les cuivres préludant à la fort mozartienne Symphonie en ré majeur Op.36 n°2, annonçant un mouvement qui menace. L’alternance de la précision chambriste et du plus cordial élan dansé font merveille dans le Larghetto ternaire, rehaussé par des bassons et des cors parfaits. L’art du contraste est convoqué dans l’ultime épisode. La violence ouvrant la Symphonie en mi bémol majeur Op.55 n°3 est suivie d’un baume déroutant. Rondeur et tonicité traversent les premiers pas, sans langueur dans la tendresse, nul assourdissement dans les coups de gueule, et pourtant l’on ne saurait parler vraiment d’équilibre tant le chef articule les ruptures. Son interprétation de la Troisième s’avère électrique, avec cette surprise d’une Marcia funebre presque légère, l’hystérie du Scherzo, la fougue du Finale menant à la fugue händélienne puis à un pas rustique, terrien.
Ne détaillons pas une écoute passionnée : il suffira de dire tout le plaisir pris à découvrir ces films, un plaisir qui n’a de comparable que celui des musiciens à jouer ces œuvres – comme la Symphonie en fa majeur Op.93 n°8 le prouve aisément, une page qui n’a pas notre préférence mais qui, dans la présente interprétation, révèle une grâce facétieuse, un esprit délicieux, un sourire d’éternité. L’incandescence de la Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 est couronnée par une Ode an die Freude à la clarté fauve, servie par les excellents Burkhard Fritz, ténor fiable qui cisèle adroitement la ligne jusqu’en ses aigus, et Gerald Finley, baryton-basse à l’autorité paisible. Ne dévoilons rien de l’élan de cette intégrale vivement conseillée !
BB