Chroniques

par laurent bergnach

Leoš Janáček
Výleti pánĕ Broučkovy | Les voyages de Monsieur Brouček

1 coffret 2 CD Deutsche Grammophon (2008)
477 7387
Leoš Janáček | Les voyages de Monsieur Brouček

C'est dès sa parution en 1888 que Leoš Janáček découvre le roman satirique de Svatopluk Čech : La véritable excursion de M. Brouček sur la lune. Vingt ans plus tard, ayant obtenu les droits d'adaptation, le compositeur se met au travail. Mais les ennuis commencent : dès octobre 1908, le librettiste Karel Mašek se retire du projet, tandis que son confrère Karel Moor (alors chef au Théâtre de Brno) s'empare du sujet et – malgré des tentatives de bluff pour le faire renoncer – signe une opérette qui serait montée en 1910. Grâce à quelques plumes de passage ainsi qu'à la sienne propre, Janáček poursuit vaille que vaille l'écriture et achève le premier acte en septembre 1909, le second en avril 1911 et le troisième en février 1913. Tout d'abord mis de côté, l'ouvrage est revu d'octobre 1915 à octobre 1916 avec l'aide de trois nouveaux collaborateurs ; il est officiellement achevé en mars 1917. Malgré toutes ces difficultés, Janáček se lance dans la conception d'une nouvelle aventure de M. Brouček, lequel, cette fois, remonte le temps. Le 12 décembre 1917, la suite de ce qu'il nommait alors opéra burlesque est terminée. L'œuvre complète est présentée au Théâtre national de Prague le 23 avril 1920, sous la direction d'Otakar Ostricil.

Yannis Kokkos – qui monte actuellement l'ouvrage à Genève (du 25 mars au 4 avril) – reconnaît qu'on puisse s'attacher à ce anti-héros : « Brouček est critiquable, mais Janáček fait en sorte qu'il ait le don de nous amuser. On peut même s'y reconnaître ». Truculents autant que touchants, les épisodes de la première partie mettent en scène une caricature de propriétaire bon vivant et terre à terre, qui se retrouve sur la Lune à la suite d'une soirée bien arrosée. Si, dans la rue Vikárka, à Hradčany, il n'a rien de commun avec les amoureux Málinka et Mazal (Acte I, scène 1), l'isolement est pire encore sur l'autre planète puisqu'elle sert de refuge à des poètes, à des peintres et autres esthètes parfois vains – les poumons versus l'estomac ! Dans la seconde partie, c'est la couardise de Matěj Brouček qui est épinglée quand, dans Prague assaillie par les Allemands (1420), même les femmes prennent les armes tandis qu'il se cache – « Sbire de l'Antéchrist », « race de vipère », « nabot ventripotent » ne sont que quelques-uns des termes qu'on y use pour s'adresser à lui.

Enregistrée en public, en février 2007, au Barbican Centre de Londres, cette version réussit à être aussi jubilatoire dans la forme que dans le fond. Jiří Bělohlávek dirige finement le BBC Symphony Orchestra et, vocalement, on apprécie l'expressivité de Jan Vacík, la couleur de Peter Straka, la plénitude de Roman Janál, l'agilité de Maria Haan, la chaude profondeur de Zdeněk Plech, etc. Les amateurs de Bohumil Hrabal et de ses palabreurs reconnaîtront ici un de leur ancêtres, minable et grandiose comme tout un chacun.

LB