Chroniques

par laurent bergnach

La septième porte, portrait de Péter Eötvös
L’homme allumette, portrait de György Kurtág

1 DVD Idéale Audience International (2006)
Juxtapositions 7
portraits de György Kurtág et de Péter Eötvös

Si la collection Juxtapositions propose des rendez-vous dont nous signalons régulièrement la qualité et l'intérêt, ce septième regard sur les œuvres de notre temps est exceptionnel. Récompensés par le prix SACEM du Meilleur Documentaire Musical de Création en 1996 et 1999, ces portraits de György Kurtág et de Péter Eötvös nous plongent dans l'univers de compositeurs majeurs – Hongrois tous deux –, magistralement filmé par Judit Kele.

Premier reportage, L'homme allumette laisse une large place à l'entourage de l'aîné (Kurtág est né en 1926), soit un essaim de confrères – László Vidovszky, Zoltán Jeney, Franck Sulyok –, d'interprètes en action – le Quatuor Orlando, le soprano Adrienne Csengery, Claudio Abbado, etc. – ou de tout jeunes élèves. Avec lui, les master-classes ressemblent à une « traversée de l'enfer », qui porte ses fruits cependant, puisque Zoltán Kocsis, alors pianiste débutant, confie avoir avantageusement revu son propre système de valeur. Pour sa part, l'enseignement permet à Kurtág d'approfondir la musique, puisqu'il n'est ni chef, ni virtuose. Pourtant, jouant plusieurs extraits de Játékok (1975-1993), le mari de Márta se révèle très bon au clavier, lui qui fut dégoûté de la musique durant l’enfance, par une pratique presque atavique du violon. Le compositeur – que Ligeti rapproche de Webern pour sa «concentration laconique » – livre des pensées sur le silence et les mots, la psychanalyse qui permet d'éviter les fausses directions, et surtout la musique, qui « ne peut naître qu'au moment où elle veut naître ».

« Les Hongrois, c'est le matériel qui s'exporte le mieux dans le monde entier », plaisante Boulez dans La septième porte. Bien volontiers, Eötvös (né en 1944) reconnaît être un éternel voyageur puisque l'enfant qui rêvait d'immensité spatiale – nombre de ses œuvres doit le jour à une conférence sur le Big Bang ou au voyage de Gagarine – s'est vite retrouvé à voyager en Europe, de Budapest à Cologne, puis à Paris. Comme sa pièce Psychokosmos (1993) qui décrit un cosmos intérieur, le compositeur semble se déplacer pour mieux se connaître : approfondir sa propre méthode de direction en regardant autrui ou retrouver ses racines à l'approche de la quarantaine.

Stockhausen, qui le compta parmi ses proches collaborateurs, le décrit comme fidèle, infatigable, et plein d'humour. En effet, Insetti galanti (1970/89) [lire notre critique CD] n'est pas empreint de la tristesse de Trois sœurs (1998), son premier opéra, de même que certaines œuvres sont dédiées au créateur de l'Ensemble Intercontemporain ou à Franck Zappa, auquel certaines affinités le lient. La tête dans les étoiles, le pied sur plusieurs continents (dont un englouti !), il était naturel que le compositeur se voit remettre le prix Antoine Livio, décerné par la Presse Musicale Internationale à qui bouscule salutairement nos habitudes d’écoute.

LB