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Chroniques
La musique ne s’apprend pas
portrait de Claude Debussy
Près d’un quart de siècle après qu’un article du New York Times (17 juillet 1884) mentionna le talent « original, spontané et charmant » d’un nouveau Prix de Rome nommé M. Debussy, le compositeur des cantates Le gladiateur et L’enfant prodigue [lire notre critique du CD] intéresse désormais un autre journal américain et daigne interrompre son patient travail pour recevoir Emily Frances Bauer, dans une chaleur estivale que tant de Parisiens ont déjà fuie :
« j’avoue ne vivre qu’avec mon entourage et en moi-même. Je ne puis concevoir de plus grand plaisir que d’être assis dans mon fauteuil devant ce bureau, en regardant les murs qui sont autour de moi, jour après jour, nuit après nuit. Dans ces perspectives je ne vois pas ce que vous voyez ; dans les arbres devant ma fenêtre je ne vois ni n’entends comme vous. Je vis dans un monde imaginaire, mû par quelque chose que me suggère mon environnement intime, plutôt que par des influences extérieures, qui me distraient sans rien m’apporter. J’éprouve une joie exquise à fouiller profondément en moi-même et si quelque chose d’original doit sortir de moi, ce ne peut être que de cette manière » (Harper’s Weekly, 29 août 1908).
Rétif aux visiteurs et casanier, mais aussi timide et colérique, méticuleux et enfantin, c’est ainsi que Claude Debussy (1862-1918) est dépeint par le documentaire de Georges Gachot, fait de photos de famille, de vues de Paris, de musiciens en concert (Celibidache, Ormandy, Richter, Quatuor Brodsky, etc.) et d’une foule de témoignages de proches lus par divers comédiens. Sans le carcan d’une chronologie rigoureuse, l’amateur de peinture, de poésie et de côtes maritimes est saisi par touches somme toute impressionnistes.
Et comment jouer Debussy ? Le 3 décembre 1969, Pierre Boulez demande au musicologue André Schaeffner de présenter Pelléas et Mélisande (qu’il s’apprête à enregistrer) en le rattachant au théâtre de la cruauté, « afin qu’on voie bien que Debussy n’était pas ce débile mollasson qu’on présente comme le fin du fin de la musique française entre les marrons glacés et Chanel n°4 » (in Regards sur Debussy, Fayard, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage]. Sans être mordante, c’est bien une interprétation peu frivole que choisit le tout jeune Zoltán Kocsis pour Children’s Corner, filmée en studio au plus près de ses mains offertes en bonus.
LB