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Chroniques
Karol Szymanowski
Six chants de Kurpie – Les chants de Kurpie
À consulter le catalogue des œuvres de Karol Szymanowski (1882-1937) – œuvres musicales, entendons-nous, car le Polonais était aussi écrivain, essayiste et critique –, on révèle très tôt son enclin à mettre la voix au cœur de pièces intimistes : Six mélodies sur des textes de Kazimierz Tetmajer (Opus 2, 1898-1902), Trois fragments de poèmes de Jan Kasprowicz (Opus 5, 1902), Le Cygne (Opus 7, 1904), Quatre mélodies sur des textes de Tadeusz Micinski (Opus 11, 1904-1905), Cinq mélodies (Opus 13, 1905-1907) puis Douze mélodies sur des textes de poètes allemands (Opus 17, 1907), etc. Au final, sur la soixantaine de partitions dotées d'un numéro d'opus, on en recense près d'un tiers consacré à la seule mélodie, inspirée de poètes parfois traduits (Tagore, Joyce), mais surtout nationaux (Wacław Berent, Jarosław Iwaszkiewicz, Julian Tuwim, etc.).
Les Chants de Kurpie (Pieśni kurpiowskie) pour voix et piano Op.58 naissent dans une période de trouble personnel : reconnu grande figure de la culture polonaise, Szymanowski s'épuise à combattre l'immobilisme au sein du Conservatoire puis de l'Académie de musique de Varsovie qu'il est amené à diriger. En février 1932, son travail de créateur trop longtemps mis de côté, il confie l'urgence de changer radicalement de mode de vie, et reprend un travail d'harmonisation de chants populaires, commencé sans doute au printemps 1930. Un mois plus tard, il annonce la composition de neuf des douze mélodies du recueil, ainsi que son désir de ne pas gâcher une fraîcheur originale par un accompagnement compliqué.
Dans ce qui ressemble à un cycle explorant l'amour inquiet, Olga Pasiecznik séduit par son chant clair, souple, et coloré, mais aussi par une expressivité discrète (Uwoz, mamo / Dis, maman, révélant la tristesse d'une jeune fille promise à un homme quelle n'aime pas). On y évoque la séduction (celle d’un cavalier entreprenant, plein d’élan – U jezioreczka / Dans le murmure – ou d’un berger plus discret – Ciamna nocka, ciamna / Nuit sombre), l'attente (le jeune pêcheur enrôlé dans Wysly rybki, wysly / Les petits poissons sont partis), mais aussi la déception amoureuse (la belle trahie parce que trop pauvre – Zarzyjze, kuniu / Hennis, mon cheval). C'est accompagné par József Örmény que le soprano livre ces moments tendrement délicats, suppliques jamais résignées et joies retenues.
En 1928-29, Szymanowski avait déjà célébré la Kurpie, région du nord de la Mazovie riche en forêts et en traditions, en choisissant des chants folkloriques tous liés au mariage pour ce qui serait sa seule œuvre chorale a cappella. Six Chants de Kurpie (Széc piesni kurpiowskich) développe des climats soucieux, recueillis mais aussi allègres, comme pour ce galop enjoué conduisant le fiancé chez sa promise (Bzicem kunia / Fouette, cocher), exploré à nouveau dans l'opus 58. Malgré quelques approximations de hauteurs, la Camerata Silesia – dirigée par Anna Szostak – ouvre le programme de ce disque dans un bel équilibre de force et de tendresse.
LB