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Chroniques
Jules Massenet
Manon
Pour la deuxième fois, Deutsche Grammophon livre une production de Manon, le chef-d'œuvre de Massenet déjà bien servie par le DVD, avec les incarnations de Gruberova, Fleming et Dessay, toutes intéressantes. Ici, le rôle-titre est chanté par le soprano russe Anna Netrebko, avec le ténor mexicain Rolando Villazón dans le rôle du Chevalier Des Grieux – qu'il a déjà interprété aux côtés de la Française. Jules Massenet a composé son opéra en 1882 d'après l'ouvrage de l'Abbé Prévost, roman qui a inspiré d'autres musiciens comme Auber, Puccini ou Henze. L'opéra fut créé le 19 janvier 1884 à l'Opéra Comique (Paris) où il obtint un grand succès.
La mise en scène et la chorégraphie sont de Vincent Paterson, qui a travaillé avec des pop stars américaines comme Madonna et Michael Jackson. Sa direction d'acteur est vivante, juste et concise ; il a choisi de transposer l'action originale (XVIIIe siècle) dans les années cinquante pour symboliser « l'éclat éphémère et la respectabilité bourgeoise ». L'héroïne ressemble ici aux vedettes de cinéma de cette période, comme Audrey Hepburn ou Marilyn Monroe, filmée en permanence par des cameramen.
Le premier acte se déroule dans le buffet d'une gare (le carrosse devient une locomotive à vapeur où Manon rêve de cinéma). Les amoureux vivent et s'amusent dans un appartement avec une grande baie s'ouvrant sur la Tour Eiffel – sous laquelle se déroule la fête aux costumes colorés. Un tableau de la Vierge orne le Couvent Saint Sulpice où se passent les retrouvailles. L'hôtel de Transylvanie devient un casino, avec comme décoration une Tour Eiffel illuminée. Sosie de Marylin, Manon y apparaît en robe dorée et perruque blonde. La prison est un grand mur noir qui fait place à un lever de soleil lorsque la mort survient.
Quasiment non francophone – à l'exception de Rémy Corazza –, l'équipe et les chœurs, parfaits, ont accompli un excellent travail de diction. Anna Netrebko, voix ample et colorée issue de l'école russe à laquelle on ne songerait pas a priori, mais agréable tout de même, a le physique du rôle. Vocalement, il faut un soprano lyrique agile, ce qu'elle possède. Elle interprète chaque facette du personnage, d'abord timide, puis éclatant (la fête, la maison de jeu), tragique enfin (Saint Sulpice, l'agonie très émouvante).
Rolando Villazón est un Des Grieux idéal, tant son incarnation est passionnée (de vraies larmes à la mort de Manon). Il a la voix qui convient au personnage, qu'on sent un peu durcie par moment, sans que cela soit gênant. La basse Christoph Fischesser a l'autorité théâtrale et vocale du Comte. Alfredo Dazza est un Lescaut crédible, à la voix ample mais un peu emphatique. Le ténor Rémy Corazza est un Guillot de Morfontaine évitant la caricature, Arttu Kataja un Brétigny dandy à la voix claire. Le trio de courtisanes se montre pétulant à souhait. Daniel Barenboim, qui ne dirige pas son répertoire habituel, tire de la Staatkapelle Berlin des couleurs vives et dynamiques.
SC