Chroniques

par bertrand bolognesi

Joseph Haydn
Die Jahreszeiten

1 coffret 2 SACD Harmonia Mundi (2004)
HMC 801829.30
Joseph Haydn | Die Jahreszeiten

C'est au début de l'année 1799 que Joseph Haydn entreprend la composition de son second oratorio, Die Jahreszeiten, alors qu'il répète la deuxième série de concerts de Die Schöpfung, après l'immense succès rencontré par cette œuvre quelques mois plus tôt. C'est le musicien de la maturité, maîtrisant parfaitement son expression, qui écrit les deux oratorios, commandés par la Société des Associés, un groupe d'aristocrates mécènes qu'a réunit le diplomate hollandais Gottfried van Swieten. Le poète écossais James Thomson (1700-1748) écrivit de nombreuses tragédies (Tancred and Sigismunda, Sophonisbe, Coriolan, Agamemnon, etc.), et fut le précepteur du fils du Chancelier du Royaume. Outre le célèbre Liberty, vaste poème en cinq séquences publié en 1736, il travailla pendant une vingtaine d'années à une fresque tout à fait dans le goût de l'époque : The Seasons, qui gagna bientôt l'estime des lecteurs, bien au delà des frontières insulaires. En plus de quatre mille vers, on trouvera réunit la plupart des thèmes qui formeront plus tard le limon du romantisme. C'est précisément van Swieten qui traduira l'ouvrage en allemand, avant d'en extraire le livret qui servirait à l'œuvre de Haydn. Die Jahreszeiten fut créée au palais du Prince Schwarzenberg à Vienne le 24 avril 1801, et suscita un tel enthousiasme qu'il faudrait redonner le concert deux fois dans les jours suivants.

René Jacobs nous invite à une célébration originale, moins bondieusarde que bien des précédentes versions, et en cela certainement plus proche d’Haydn qu'aucune autre. Bien sûr, il s'agit bien de chanter l'homme face à la Nature, don de Dieu ; mais s'il y a le travail de l'homme sur la nature – thème qu'on a pu réduire à sa seule implication morale –, les protagonistes remercieront certes Dieu mais avant tout leur propre effort. À la majestueuse prière de Die Schöpfung succède donc un bel hymne à l'humain, dans un enthousiasme bien au-dessus des valeurs petite-bourgeoises dans lesquelles on a souvent cru bon de le confiner, par ironie ou conviction revendicative. L'interprétation de Jacobs ne s'embarrasse pas de si peu, offrant le plus clairement qui soit une partition tout simplement géniale qui n'a rien de commun avec la soi-disant naïveté dont on l'affubla parfois. Sculptant merveilleusement l'orchestre avec lequel il construit un relief sans cesse transformé, le chef sait faire bondir l'introduction du Printemps, avançant comme personne tout en ménageant juste ce qu'il faut d'élégance, sans manière, avec une puissance évocatrice (dans le sens étymologique du terme) inégalée. Convoquant L'Été, il révèlera une écriture équilibrée dans un raffinement sans pose, lamentablement désolé, à tel point qu'on pourra parler d'une sorte d'effacement de l'interprète pour laisser la partition parler d'elle-même. Il colorera ensuite la quiétude solide et bonhomme du prélude de L'Automne, invitant finalement les frimas dans une mélancolie tendre et méditative.

La distribution vocale n'est pas en reste. Choisie avec soin, elle sert magnifiquement ces Saisons, avec une expressivité excitante. À commencer par l'excellent Dietrich Henschel campant ferme un Simon sans états d'âme par un chant irréprochable, toujours en accroche avec le texte. Si le Lukas de Werner Güra paraît plus gentil dans le début, il révèlera un bas-médium joliment corsé par la suite, offrant un Wanderer hivernal troublant. La soprano Marlis Petersen soigne minutieusement son phrasé, ouvrant un aigu d'une égalité toute mozartienne, bienvenue dans ce répertoire. Enfin, le RIAS-Kammerchor est ici extrêmement équilibré, affirmant juste ce qu'il faut de dramatisation.

Notre média ne propose pas [pas encore, NDR] de palmarès des parutions discographiques, de récompenses, rien de cette sorte. Toutefois, il conviendra de signaler celle-ci comme hors concours, de toute façon ! De tout ce qu'il nous fut donné d'entendre en un an et demi, voilà sans conteste le plus beau : pour les voix, pour l'orchestre, pour le chœur, pour l'interprétation, pour la cohérence de la lecture, également pour sa présentation soignée : un coffret reproduisant les tableaux de Nicolas Poussin (rappel souriant des figuralismes à la française de la partition ?), un livret d'une grande pertinence, etc. Ces Saisons font événement, c'est indéniable.

BB