Chroniques

par laurent bergnach

Jean Starobinski
Les Enchanteresses

Seuil (2005) 286 pages
ISBN 2-02-051979-8
Les Enchanteresses, par Jean Starobinski

De par ses nombreux ouvrages parus en un demi-siècle, on connaissait l'intérêt de Jean Starobinski (né en 1920) pour des sujets aussi variés que ses talents. Comme le confirme Michel Butor,« peu d'hommes sont à la fois historien de la médecine, historien de la littérature et excellent pianiste ». C'est justement vers la musique que nous amène l'auteur, dans ce nouveau livre au titre… enchanteur.

Toute jeune fille n'est pas la victime de Don Juan ou de Faust ; à l'image des Sirènes de l'Antiquité, la femme peut aussi promettre le savoir et le plaisir, et conduire l'imprudent à la mort. Au fil des siècles, la séductrice apparaît sur la scène des théâtres, dans des opéras où imaginaire, légende, fantasme, rituel et nouveauté se mêlent pour, selon la définition de La Bruyère, « tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement ». Mais ce sont finalement les grands sentiments et le pouvoir de la musique qui concourent à provoquer l'émotion et, bientôt, une simple prédiction, un interdit ou une contrainte remplacent les déesses baroques, les sorcières moyenâgeuses – voir, à cet égard, toute l'étendue du fantastique wagnérien – ; il suffit dès lors de croiser qui il ne faut pas, Carmen ou Lulu, pour être sous le charme.

Après ce rapide rappel historico-artistique, Starobinski passe en détail les grandes œuvres du répertoire, abordées sous un angle très précis – une notion le plus souvent. Chez Mozart, il met en évidence l'excès dans Don Giovanni, le changement dans Così fan tutte, la transgression dans Idoménée, le pouvoir dans La Flûte enchantée. Puis viennent d'autres figures féminines, avec leur lot de questions : Poppée est-elle une amoureuse ou une ambitieuse ? Plaignons-nous plus Didon ou Médée qu'Alcina ? La séduction de Manon a-t-elle à voir avec le désir de conquête ?

Organisé en une douzaine de chapitres et sous-chapitres, passionnant à plus d'un titre, Les enchanteresses ne manque pas de s'interroger sur les relations entre livret et partition, et égratigne à l'occasion ces metteurs en scène qui transforment des chefs-d’œuvre en « bande-son de leurs propres fantasmes ».

LB