Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Noël von der Weid
Scherzos insolites

Aedam Musicae (2021) 340 pages
ISBN 978-2-919046-96-6
Scherzos insolites, recueil de pensées et citations de Jean-Noël von der Weid

Avec sa série intitulée Papiers sonores [lire nos chroniques des volume I et volume II], Jean-Noël von der Weid nous habitua à des incursions toutes personnelles dans le domaine musical. On retrouve ici ce goût pour la présentation succincte d’un compositeur associée à une rêverie poétique. Aujourd’hui, les élus qui engendrent ce que l’auteur appelle des « lignes sonores » sont Adriano Banchieri, Ludwig van Beethoven, John Cage, George Crumb, John Dowland, Duke Ellington, Antoine Forqueray, Tobias Hume, Joëlle Léandre, Thelonious Monk, Pérotin le Grand, Henry Purcell, Giacinto Scelsi, Karlheinz Stockhausen, Johann Strauss fils et Hugo Wolf. Morton Feldmann, Ernst Theodor Hoffmann et Hermann Nitsch apparaissent aussi, mais plus sobrement.

Ce qu’apporte d’inédit Scherzos insolites – rappelons que le mot, apparu au XVIIIe siècle dans la musique italienne, signifie plaisanterie –, c’est la présence d’invités illustres venus évoquer divers sujets, aussi hétéroclites que leur lieu d’extraction (fiction, correspondance, journal intime, etc.). De fait, ils sont moins compositeurs (Berg, Borodine, Couperin, etc.) ou peintres (Gauguin, Kandinsky, Munch, etc.) qu’hommes de lettres. Si les romanciers français sont bien représentés (Balzac, Proust, Rabelais, etc.), de même que les étrangers (Conrad, Dostoïevski, Sterne, etc.), les poètes sont aussi présents (Baudelaire, Dickinson, García Lorca, etc.), ainsi que les penseurs (Adorno, Bergson, Freud, etc.) et les chroniqueurs antiques (Catulle, Lucien, Macrobe, etc.).

S’y mêlent des tentatives de saisir les lois de la nature, et de cerner l’essence de l’Homme. Celui-ci est un être complexe, corps fragile face à la maladie (Degas, Kafka, Moussorgski, etc.), esprit confronté à des monstres. Quand tout va bien, il savoure une mélodie ou un banquet, danse et copule. Loin des salons, il admire la mer, le chemin de fer ou la lune au télescope (Hugo). Il rêve aussi. Souvent, quelqu’un échappe au sort commun pour devenir un artiste à la personnalité appréciée (Chopin, Debussy, Delacroix, etc.), ou notablement dénigrée (Flaubert par les Goncourt, Wagner par Nietzsche). Bref, on parle de son travail quand il ne le fait pas lui-même (Berlioz, Cézanne, Joyce, Mallarmé, Meidner, Musil, Schubert, etc.).

Pour Maupassant, « ce qu’il y a de propre, de joli, d’idéal sur terre, ce n’est pas Dieu qui l’y a mis, c’est l’homme, c’est le cerveau humain ». Avec plus de quatre cent cinquante entrées, l’ouvrage de Jean-Noël von der Weid célèbre les capacités de ce dernier à créer des objets artistiques, source d’équilibre pour nous qui serions sans cela – qui sommes peut-être, d’une certaine façon – « comme des cadavres souriants, volant dans l’air quand un obus égaré tombe sur une fosse commune ».

LB