Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Michel Nectoux
Gabriel Fauré – Les voix du clair-obscur

Fayard (2008 – 2ème édition revue) 850 pages
ISBN 978-2-213-63547-7
Gabriel Fauré – Les voix du clair-obscur, par Jean-Michel Nectoux

Parce qu'une chapelle avoisine la maison familiale de Montgauzy, dès son plus jeune âge, d'instinct, Gabriel Urbain Fauré (1845-1924) passe de longues heures à découvrir la musique sur l'harmonium, puis en compagnie d'une vieille dame aveugle qui l'initie aux rudiments. À huit ans, il est assez habile au piano pour qu'on l'invite à jouer devant des invités et, à neuf, pour entrer à l'École de musique classique et religieuse – cet internat parisien fondé par Louis Niedermeyer, en vue de séparer l'art sacré du mondain, où Fauré enseignerait à son tour. Durant les heures libres, on y autorise Gluck, Méhul et Weber, mais nullement Schumann ou Chopin.

Au cours de ces onze années, le jeune Ariégeois accumule les prix (contrepoint et fugue, littérature, etc.) et profite de l'enseignement novateur de Camille Saint-Saëns qui aborde les modernes, comme Liszt et Wagner. C'est sous sa direction bienveillante que le futur créateur de Pénélope commence à composer, avant de connaître l'ennui d'un exil rennais – en tant qu'organiste, de 1865 à 1870 –, puis l'horreur de la guerre. C'est aussi grâce à lui qu'il intègre la Société nationale de musique (1871) où il se lie avec Franck, Lalo, D'Indy, Duparc ou encore Massenet.

Confrontant les imprécisions des monographies antérieures aux documents originaux (manuscrits, milliers de lettres autographes, mais aussi témoignages de proches), Jean-Michel Nectoux suit pas à pas un compositeur exigeant dans une vie en clair-obscur : fiançailles rompues, carrière de virtuose enterrée, « besognes mercenaires » pour survivre, relations tendues avec les éditeurs, mariage arrangé vers la quarantaine, quête ardue d'un librettiste, migraines récurrentes, surdité déformante qu'il doit cacher à la direction du Conservatoire, etc. S'il se dit insensible à celles de l'humanité du fait de ses propres douleurs, l'homme s'avère pourtant plein de bonté et d'indulgence.

Outre ces informations précieuses, il est touchant d'approcher Fauré dans son intimité, de découvrir que cet ennemi du rubato a vécu dans le doute. Soucieux de perfection au point de renoncer parfois, l'enfant docile et rêveur est en effet devenu un homme manquant d'ambition sociale et de confiance en lui, qui estime la musique de scène idéale pour « [s]es petits moyens », et apprécie le moindre encouragement. Volontiers féroce quand il s'agit d'art – « plus ils sont grands, plus ils me jouent mal » –, quel autre Maître aurait pu dire à l'élève Ravel, jugé durement à la leçon précédente, « J'ai pu me tromper », ou confier à d'aucuns la survie de son ultime opus ?

LB