Chroniques

par laurent bergnach

Jacques Donguy
Charlemagne Palestine

Aedam Musicae (2022) 92 pages
ISBN 978-2-919046-82-9
Donguy s'entretient avec Charlemagne Palestine, compositeur "maximaliste"

Pendant une grande partie des années soixante-dix, le compositeur Tom Johnson fut critique pour The Village Voice, célèbre hebdomadaire new-yorkais fondé en 1955, qui connut son heure de gloire en défendant les droits des plus opprimés (Noirs, femmes, homosexuels, etc.). Dans un article daté d’avril 1977, l’architecte de L’opéra de quatre notes (1972) [lire notre critique du 19 octobre 2005] raconte une envie singulière au retour du concert donné par l’un de ses confrères, dans son loft de North Moore Street : « je voulais crier contre moi-même pour avoir raté nombre de concerts de Palestine l’année écoulée, ou à peu près. Je désirais crier contre le conformisme musical qui est encore allègrement ignorant de Palestine et a encore à l’inviter dans ses halls consacrés des beaux quartiers ».

Depuis, Charlemagne Palestine a été reçu dans beaucoup d’institutions, notamment parisiennes – Chapelle de la Sorbonne (1979), Auditorium du Louvre (1998), Église Saint-Eustache (2008), etc. –, ainsi qu’en témoigne la liste d’une centaine de concerts sélectionnés en annexes de l’entretien réalisé à Bruxelles, les 24 et 25 février 2018. Déjà l’auteur d’un essai sur La Monte Young [lire notre critique de l’ouvrage], Jacques Donguy y recueille la parole de celui dont le nom de naissance est Chaïm Moshe Tzadik Palestine.

Né en 1947 dans le quartier de Brooklyn, Palestine se distingue dès l’âge de six ans en chantant dans les synagogues. Vers treize ans, alors qu’il reçoit une éducation artistique dans une école gratuite pour les enfants d’immigrés, il joue du bongo pour accompagner les poètes locaux… tout en vendant de la marijuana. On le découvre ensuite carillonneur dans une église protestante, s’initiant à la musique électronique dans une université où son inscription lui permet d’éviter l’enrôlement au Vietnam, ou encore donnant son premier concert au piano, d’une durée de cinq heures, sur un Bösendorfer Imperial à quatre-vingt-dix-sept touches. Le musicien maximaliste évoque aussi ses pairs (Cage, Glass, Moondog, Radigue, Subotnick, Varèse, etc.) entre deux moments où il définit sa quête : utiliser le son comme un peintre expressionniste abstrait utilise la peinture, et attendre que la spontanéité l’inspire.

Parce que son art repose sur l’improvisation, Charlemagne Palestine est sans doute plus connu et apprécié des amateurs de jazz que des autres. Avec sa préface et ses questions, Jacques Donguy pallie cette méconnaissance, tout en nous égarant parfois dans des méandres chronologiques, voire des contradictions. Le lecteur peut aussi être désorienté devant des titres d’œuvres écrits tantôt en italique, tantôt entre guillemets, ou face à des phrases entières laissées dans leur langue originale, sans traduction fournie – oops!...

LB