Chroniques

par laurent bergnach

Isabelle Werck
Gustav Mahler

bleu nuit éditeur (2010) 176 pages
ISBN 2-913575-98-1
Gustav Mahler par Isabelle Werck

À travers ses symphonies (dont la Dixième inachevée) et cycles de Lieder, Gustav Mahler (1860-1911) a laissé un répertoire incontournable pour grand orchestre, définitivement adopté par le public dans les années soixante et soixante-dix. Ce n'est que justice pour ce créateur très tôt convaincu de sa vocation, que berceuses et comptines apaisent immédiatement, et qui n'a que deux ou trois ans quand sa famille le surprend devant un vieux piano relégué au grenier, à reconstituer des mélodies.

Adolescent, son père s'irrite de sa tendance à fuir le réel dans la lecture excessive, mais autorise néanmoins son départ pour le conservatoire de Vienne. À dix-huit-ans, Mahler y remporte les premiers prix de piano et de composition, puis dirige à Prague et Leipzig avant de devenir, une décennie plus tard, directeur de l'Opéra de Budapest. Hambourg (1891) et Vienne (1897) lui ouvrent alors les portes de leur opéra.

Le créateur s'abreuve des expériences de l'homme. De son enfance en Moravie, le jeune Mahler garde une attention à la nature qui imprègne de nombreuses partitions : Das klagende Lied (1880), Symphonie n°1 (1888), la Troisième (1902), Das Lied von der Erde (1908), etc. La mort aussi s'impose à sa sensibilité, puisqu'il perd l'un après l'autre son frère Ernst (1875), ses parents, sa sœur Leopoldine (1889), son autre frère Otto (1895) et sa petite Maria (1907). Ses deuils s'ajoutent aux déceptions amoureuses, à la routine artistique – « cette porcherie qu'est le théâtre » –, et à la souffrance de ne pouvoir composer en dehors des vacances d'été.

Enseignant l'histoire de la musique dans un conservatoire parisien, Isabelle Werck signe une biographie remarquable – synthétique autant que sensible, ponctuée de portraits d'œuvres plutôt que d'analyses –, qui présente l'époux d'Alma dans toute sa modernité, à l'inverse d'une aristocratie viennoise repliée sur elle-même. Son respect d'autrui (tolérance et socialisme), des œuvres (refus des coupures dans Wagner) et du sens (art sans frivolité, démission plutôt qu'esclavage) font de ce « conquérant et mystique » un homme attachant et profond en plus d'un musicien exigeant.

LB