Chroniques

par pierre-jean tribot

Igor Stravinsky
Le sacre du printemps – Le rossignol

1 CD Naxos (2005)
8.557501
Igor Stravinsky | Le sacre du printemps – Le rossignol

Le chef d'orchestre Robert Craft est une personnalité controversée. Il rencontre Igor Stravinsky en 1948, alors qu'il souhaite diriger la Symphonie pour instruments à vent, introuvable à l'époque. Le compositeur éprouve d'emblée de la sympathie pour ce jeune homme qui ne lui cache pas son admiration et qui l'éblouit par la connaissance de sa musique. Le vieux maître l'invite alors à s'installer à Hollywood afin de lui confier différentes tâches d'archiviste. Très proche d'un Stravinsky vieillissant, auprès duquel il se rendit indispensable, cette place lui valut de nombreux détracteurs ; il fut même accusé de profiter de la vieillesse du musicien pour se placer dans la carrière. Robert Craft fut aussi rendu coupable d'être à l'origine de la conversion tardive de Stravinsky à la musique sérielle, accusation qu'il a toujours fermement démentie. La vérité, comme toujours, ne saurait se limiter à des simplifications hâtives et Robert Craft occupe incontestablement une place importante dans la musique aux États-Unis de la seconde moitié du XXe siècle. Chef d'orchestre, il dirigea et enregistra en pionnier les œuvres de Varèse, Schönberg et Webern, et fut l'un des premiers musicologues à redécouvrir les compositeurs baroques. Avec l'arrivée du compact disc, le label Koch, lui commanda une anthologie Stravinsky. Fortement réputés dans le monde anglo-saxon, ces enregistrements, aujourd'hui réédités par Naxos, ont toujours été plutôt dédaignés par les francophones. Le présent programme couple de manière fort originale le Sacre du printemps à l'opéra Le Rossignol.

Le Sacre du printemps bénéficie de la présence du London Symphony Orchestra dont la virtuosité, la dynamique et l'impact rendent justice à ce chef-d'œuvre. Cependant, la direction du chef apparaît plus comme une suite d'événements qu'une vision globale, et les passages sauvages ne sauraient masquer un manque de maîtrise. Dans une discographie surabondante, cet enregistrement estimable ne peut malheureusement pas s'imposer. On restera donc fidèles à Ancerl, Boulez, Karajan, Salonen, Svetlanov, Maazel à Vienne (disque phénoménal que Decca serait bien inspiré de rééditer), et Markevitch.

Le Rossignol est une œuvre hybride qui commence comme le Stravinsky sous influence rimskienne de la Symphonie en mi bémol Op.1 pour se terminer comme Le Sacre du printemps. En effet, la composition s'étala de 1908 à 1914. Entamée sous le regard attentif de Rimski-Korsakov, d'après un conte d'Andersen, la partition ne fut finie qu'à l'instigation de Serge Diaghilev. En dépit de sa disparité stylistique, ce court opéra à l'orchestration luxuriante à tout pour plaire. La faible discographie est dominée par les enregistrements de Pierre Boulez et de James Conlon. Le sage de Montbrison, à la tête d'un orchestre de la BBC déchaîné (Erato), tire l'œuvre vers sa pure modernité, mais il est desservi par des chanteurs plus que moyens (Bryn-Julson, Palmer, Caley). James Colon (EMI) avec les forces de l'Opéra de Paris et une équipe de chanteurs d'un tout autre niveau (Dessay, Urmana, Naouri), place Le Rossignol vers son héritage historique russe. Le grand avantage de cette présente version, c'est la direction de Craft : à la tête d'un excellent Philharmonia Orchestra, il allège les structures, obtenant une formidable transparence des mélodies. Malheureusement les chanteurs se révèlent assez décevants. Olga Trifonova possède la technique pour affronter les redoutables vocalises du rôle-titre, mais son manque de personnalité en fait un rossignol glacial. Le grand Robert Tear est cruellement pris en défaut de couleurs et de puissance pour rendre grâce au rôle du pêcheur. Le reste de la distribution apparaît correcte, sans plus.

Au final, ce disque inabouti peut trouver un public, grâce à son couplage original. Si l'on veut être convaincu du génie de Robert Craft, il faut se tourner vers son magistral enregistrement des Gurrelieder de Schönberg (Naxos) [lire notre critique CD] ou le glacial mais cinglant disque consacré à L'Oiseau de feu de Stravinsky (Naxos).

PJT