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Chroniques
Helmut Lachenmann
musique de chambre
Fondé à Milan voilà quinze ans (2002), à l’initiative de six jeunes passionnés de musique contemporaine, le MDI Ensemble aime travailler au contact de compositeurs tels Pesson, Gervasoni et Lachenmann (né en 1935). À l’occasion des quatre-vingts ans du Stuttgartois, la formation chambriste a souhaité jouer quelques pièces représentatives devant plusieurs caméras, témoignant ainsi de la richesse de gestes et de techniques requis pour leur exécution. Luca Scarzella filme ces quatre moments artistiques mais aussi, en parallèle, quelques proches du compositeur (Nuria Schönberg, Stefano Gervasoni, Massimiliano Damerini, Emilio Pomarico), lequel revient largement sur la génèse des partitions sélectionnées. Dans ses confidences recueillies à la Fondazione Cini (Venise, juillet 2015) se trouve une clé de lecture éloquente : « dans tous mes morceaux, il y a toujours une transformation, on finit toujours ailleurs par rapport à où on a commencé ».
Aîné des deux soli au programme, Pression (Côme, 1970) est une étude conçue pour Siegfried Palm (1927-2005), « expérience d’énergie » qui exprime la violence mais aussi la douceur, jusqu’à ce que le son devienne l’exception parfois [lire notre chronique du 29 avril 2005]. Grâce aux prises de vues évoquées plus haut, on suit la main gauche de Giorgio Casati, agile, sur le corps du violoncelle, sur l’archer, ou encore derrière le cordier, bloquant la résonnance du câble. Étude elle aussi, Toccatina (Stuttgart, 1988) souhaite confronter le violoniste à l’idée d’une musique au delà de la tonalité, de même qu’au renoncement à la virtuosité, pour montrer « sa capacité à créer une intensité dans le silence ». Lorenzo Gentili-Tedeschi excelle à rendre les « sons touchés » de cette courte page où les cordes sont surtout abordées avec la vis de l’archet.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale foisonnent des titres annonçant les nouvelles directions de l’art musical européen (Structures, Gruppen, Varianti, etc.). Comme tant d’autres, Lachenmann veut en donner sa propre conception, sans forcément se soumettre aux dogmes sériels. De 1958 à 1960, il étudie à Venise auprès de Luigi Nono, gendre de Schönberg, qui veut orienter son avenir. Traumatisé par la radicalité du maître des sons et des silences [lire notre chronique du 14 novembre 2014], l’apprenti ressent le besoin de braver les interdits. Il en résulte Trio fluido (Munich, 1968), pièce voulue d’une « vitalité morte » à destination d’un instrument à la vie brève (à l’instar d’un citron qu’on presse), formé par un alto, une clarinette et un marimba, que jouent respectivement Paolo Fumagalli, Paolo Casiraghi et Simone Beneventi [sur ce dernier, lire notre critique du CD Duals]. On y apprécie des timbres en relai, un tissu qui s’amincit, se raréfie un quart d’heure durant.
Comme le trio précédent, Allegro sostenuto (Cologne, 1989) fut commandé par Eduard Brunner (1937-2017), un ami clarinettiste. À la veille d’écrire, le compositeur est heureux dans son jardin où d’aucuns viennent cueillir « les fruits magiques » – pour reprendre l’image de Gervasoni. Mais l’Eden s’affirme prison. Pour Lachenmann, l’heure est venue d’abandonner la recherche de l’inouï pour aborder de nouveaux contextes. En clair, il faut renouer avec tremolo, crescendo, etc. Luca Ieracitano rejoint ses confrères Casiraghi (clarinette) et Casati (violoncelle) autour d’un piano dont s’explorent les possibilités résonnantes. Au terme de la demi-heure d’exécution, l’œuvre s’enfonce dans l’obscurité et la violence. Mais dans le maniériste aussi, malheureusement.
LB