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Chroniques
Hélène Pierrakos
L’ardeur et la mélancolie – Voyage en musique allemande
Passée de France Musique à Fréquence protestante, musicologue et critique, Hélène Pierrakos invite aujourd’hui à explorer les thèmes de l’ardeur et de la mélancolie dans la musique allemande, en particulier à l’époque du romantisme. En prologue à neuf chapitres, elle annonce : « l’art musical dans son entier naît et vit, naturellement, de ce balancement entre la force de la pensée architecturée et l’émotion de la pensée esquissée, surgissante, non maîtrisée. Si la musique allemande, plus qu’une autre, reflète de façon éclatante ce double mouvement, si l’éblouissement qu’elle procure est si aigu, c’est qu’elle semble explorer avec la même vaillance le pouvoir de l’architectonique et celui de la rêverie ».
De façon plus ou moins longue, le livre évoque des opus signés Bach (Choral BWV 639), Beethoven (Variations Diabelli), Brahms (Deutsche Volkslieder), Haydn (Quatuor n°2), Mahler (Das Knaben Wunderhorn), Schubert (Winterreise), Schönberg (Verklärte Nacht), Schumann (Lieder), Wolf (Sérénade italienne), etc. Cependant, il n’est pas un guide d’écoute ni un mode d’emploi, mais plutôt un relevé d’impressions de voyage ou de désir de voyages. Car une écoute subjective justifie seule la visite de territoires fixés comme tels dans le plus parfait arbitraire.
Ainsi, Le chant fraternel met à nu la ligne vivace et sans ruptures reliant Bach « le religieux » à Brahms « le profane », de même que Poétique du pas relie pèlerin et Wanderer. Mécanismes et ressassements s’intéresse à l’esprit de danse, comme aux accents d’horloge particulièrement sensibles chez Schubert. Le folklore rêvé évoque un héritage populaire – ignoré par la bourgeoisie de ce côté-ci du Rhin – qui apporte dynamisme et théâtralité à l’écriture, dans un échange où l’art savant rend adultes les images de l’enfance. Un ailleurs salvateur est au cœur de pièces surtout chantées, où l’on rêve de Grèce et d’Italie ; c’est le sujet de L’idylle d’azur où Goethe et Schiller sont en bonne place.
À force de déploration s’étonne de l’alchimie entre l’énoncé d’une plainte et sa transformation en mouvement, le romantique faisant évoluer le lamento baroque vers un « ancrage du deuil dans la puissance ». Plénitude et souveraineté réaffirme une commune germanité entre créateurs du XVIIe au XIXe siècle, lesquels énoncent au lieu de suggérer – éloquence (Johannes-Passion), densité (Kreisleriana), expressionnisme (Erwartung). Alliant force et désolation, Mahler est le champion de La pensée inquiète, chapitre qui évoque de nouveau une « poétique du désastre ». Enfin, Brahms est celui du dernier, Le labeur et le rêve, qui réunit tradition et lyrisme, ouvrant le champ sans en briser les limites.
En amont comme en aval de certitudes, marquant parfois le doute, nombre d’interrogations dynamisent un absorbant parcours, qu’il nous plaît de signaler pour finir : Est-ce mon écoute qui fabrique, a posteriori, ce chant que je crois fondateur ? Comment faire du « grand tout » orchestral le medium idéal de la transcendance du sentiment ? Comment dire à la fois le drame du temps humain dans ce qu’il a de plus fragile et la certitude de l’éternité ? etc. Un livre riche de réponses mais aussi de questions.
LB