Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler
Symphonie en mi bémol majeur n°8

2 CD Naxos (2006)
8.550533-34
Gustav Mahler | Symphonie n°8

Lorsque le public bavarois découvrit la Symphonie n°8 en mi bémol majeur de Gustav Mahler, n'en retint-il que l'impressionnant monumentalisme de la première partie ? Car enfin, tout en laissant son écriture orchestrale s'emporter vers des proportions jamais entendues que l'auditeur de l'époque aurait peut-être pu comparer à celles de certaines pages berlioziennes, le compositeur ménageait dans sa partition de grands moments plus intimistes, voire chambristes, y compris dans son Veni, Créator Spiritus initial. Du reste, à la tête de l'Orchestre Philharmonique National de Varsovie, Antoni Wit ne s'y est pas trompé en enregistrant l'œuvre l'été dernier [juin 2005], à Varsovie, réalisant une gravure soignée. Si les premiers pas restent un peu raides, son interprétation, vive et contrastée tout en n'abusant pas d'effets, se fluidifie assez tôt, tout en faisant sonner toutes les audaces mahlériennes. Si les climats se dessinent plutôt naturellement, on regrettera toutefois le peu de suavité des cordes. Usant à bon escient de la belle masse chorale constituée par le Chœur de la Radio Polonaise de Cracovie et le Chœur de l'Université Cardinal Stefan Wyszynski, le chef mène avec enthousiasme notre écoute jusqu'à un final dont il sait ne pas exagérer la pompe.

C'est ensuite dans un tout autre paysage qu'évolue la Schlußszene aus Faust. Antoni Wit pose délicatement les traits de bois qui l'introduisent, laissant les cordes faire leur entrée en un suspens notable. Plus ferme se fera le Più mosso, tout en gardant une couleur relativement venimeuse, tandis que le Wieder langsam entre en lévitation, la pédale de vents et les réminiscences thématiques invitant le chœur à engager sa partie dans une inspiration remarquable. Du coup, l'aria de Pater Ecstaticus n'en sera que plus lyrique. Néanmoins, le chœur des Anges convaincra moins, trop livré et peu subtilement bienheureux, il faut bien l'avouer. Cela n’empêchera pas d'apprécier le travail de détail effectué dans le Molto leggiero qui suit, ainsi que la sonorité plus chaude que ménagent les cordes à l'intervention de Doctor Marianus et à l'introduction de l'Adagissimo de Mater Gloriosa dont l'exaltation progressive s'avère remarquablement bien gérée. À l'issue d'une conduite qui dessine une vraie dramaturgie à cette Huitième, Wit profite et fait profiter de toute la finesse de l'orchestration, laissant le dernier chœur s'exprimer dans le plus grand recueillement.

On sait l'effectif que convoque cette symphonie à laquelle l'on ménagea en son temps une publicité « digne de Barnum & Bailey », comme l'estimait ironiquement Mahler lui-même, qui l'annonça Symphonie des Mille. Ici, Antoni Wit s'est entouré de plusieurs voix dont l'excellent baryton Wojciech Drabowicz au timbre cuivré qui mène souplement chaque phrase avec une véritable intelligence du texte et une présence vocale qui s'impose. On saluera également le ténor Timothy Bentch qui réalise quelques traits en voix mixte assez étonnants ; par ailleurs, on lui reprochera quelques sons imprudemment poussés qui ne tiennent guère. Passant sur l'impact trouble et le peu de diction de Marta Boberska, sur le médium terne et l'instabilité de Barbara Kubiak, on se réjouira de pouvoir entendre sur ce disque la fort belle voix de Jadwiga Rappé, sublimement profonde, ainsi que la juvénile lumière d'Izabela Klosinska.

BB