Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler – Arnold Schönberg
transcriptions et paraphrase

1 CD La Dolce Volta (2021)
LDV 100
Versions pianistiques de l'orchestre Mahler et Schönberg au piano...

Artiste curieuse à l’appétit exemplaire, la Valaisanne Beatrice Berrut ne se contente pas d’assidument fréquenter son piano et l’innombrable catalogue lisztien : encore n’a-t-elle pas hésité à se produire à la guitare basse dans un groupe de musique actuelle (comme il se dit désormais), si l’on s’en tient à sa pratique de musicienne… parce qu’à s’en éloigner quelque peu, on la découvre novelliste, comme en témoigne deux exemples publiés dans la notice de ce CD afin d’accompagner sa démarche de transcripteure, mais encore professeure de langue allemande ! Lorsque l’artiste rencontre la musique de Gustav Mahler, elle en « tombe éperdument amoureuse », précise-t-elle (même source), au point de marcher sur les pas de Liszt, qu’elle aime tant, en s’en saisissant à travers son instrument, œuvrant dès lors à faire entrer l’orchestre dans son piano et, surtout, à inviter le geste compositionnel dans le dessin de chacune de ses adaptations.

Trois pages mahlériennes hantent l’album Jugendstil qu’elle enregistrait à l’été 2021 à Bruxelles, dans un studio du paquebot art déco de Joseph Diongre, place Flagey – ancienne Maison de la radio (1938), à Ixelles, désormais centre culturel. Grâce à une écriture qui rend rigoureusement compte des strates instrumentales du fameux Adagietto de la Symphonie en ut# mineur n°5, conçue au tout début du siècle dernier par le génial Bohémien de la capitale des Habsbourg, et à une pédalisation au grand souffle, souverainement gérée, la musicienne ne dissipe rien de l’original. Encore son beau travail se trouve-t-il favorisé par les riches possibilités sonores du grand Vienna Concert 280 de Bösendorfer qui autorise toutes les audaces expressives. Voilà bien ce que confirme sa brillante transcription du deuxième mouvement de la Symphonie en ré mineur n°3 qu’elle interprète avec une générosité et une sensibilité remarquables. Sous ses doigts, comme par enchantement, on retrouve les contrastes délicats de ce Tempo di menuetto où elle distille une judicieuse distinction des frappes dont la principale vertu s’avère une ciselure à la fois fidèle et inventive, dont ravit le lyrisme raffiné, jusqu’à la délicatesse inouïe de sa conclusion. Troisième exemple de l’heureuse inspiration de Beatrice Berrut, le pénultième chapitre de la Symphonie en la mineur n°6, chant mélancolique à l’inflexion si douloureuse, bénéficie d’une approche minutieuse qui porte haut, chacun de ses détails élevant l’Andante moderato par-delà la réduction, selon l’expression consacrée : oubliée, l’absence d’orchestre – brava ! C’est au plus près du traitement thématique que la pianiste conduit l’écoute, sans convier cette sécheresse qui bien souvent caractérise ce type d’exercice. On demeure pantois devant la vastitude discrètement affirmée qu’elle cultive dans le Misterioso médian, véritable tour de force, épanouissant ensuite l’intrépide épanchement d’Etwas zurückhaltend avec une puissance certaine dont le secret pourrait bien être le maintien robuste d’une pensée louablement opiniâtre.

Bien que né à Vienne, Arnold Schönberg partage sa mitteleuropanéité avec Mahler puisque sa mère était pragoise et que son père était originaire des confins slovaques du royaume de Hongrie. En 1899, tandis que l’aîné commence à écrire sa Quatrième Symphonie, le cadet se penche sur l’œuvre du poète allemand Richard Dehmel, emblématique de la mouvance fin de siècle germaine avec les tourments qui souvent s’y croisent, et plus particulièrement sur une page du recueil Weib und Welt dont la parution, trois ans plus tôt, fit scandale. Ainsi naquit son opus 4, un sextuor à cordes intitulé Verklärte Nacht. Ce n’est pas par sa conception que cette large pièce d’un seul tenant d’une demi-heure surprendra lors de sa création en 1902, puisque le principe dodécaphonique n’y est point encore exploré, mais par son sujet, celui du pardon à l’infidèle. En 1917, Schönberg l’orchestrait, révisant cette extension vingt-cinq ans plus tard. S’il existe plusieurs versions pour piano seul (Michel Gaechter, puis Zsolt Tempfli), la Suissesse a préféré composer une paraphrase qui tire bel avantage des atouts du piano, plutôt que de chercher en vain à imiter le flux des archets. Mieux que de reconnaître cette dramatique Nuit transfigurée, nous en pouvons suivre la narration musicale, vigoureusement transmise par une artiste hors pair. Une nouvelle fois, La Dolce Volta fait florès !

BB