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Chroniques
Guillaume Costeley
chansons spirituelles et amoureuses
De Guillaume Costeley, que sait-on vraiment ? Si l’on hésite à lui attribuer une naissance auvergnate ou normande, si le détail de sa formation musical ne nous est point connu, il est avéré qu’il fut valet de chambre et organiste de Charles IX et qu’en 1570 il fit publier une épais volume de pièces chantées que Bruno Boterf et ses amis de l’ensemble Ludus Modalis explorent pour nous au disque. C’est là le plus important : pouvoir approcher Costeley par sa musique, c’est-à-dire par le principal, au fond.
C’est avec grande imagination et non sans oser bafouer quelques règles de l’art alors admises que le compositeur s’ingénie à porter en musique les poètes de la renaissance française. Aussi entendons-nous ici les vers de La Pléiade, signés Clément Marot (1496-1544), Rémy Belleau (1528-1577), Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) ou Philippe Desportes (1546-1606), sans oublier le grand Ronsard (1524-1585) qui donne son titre à l’album, via le fameux Mignonne allons voir si la Rose (1545).
Après un premier enregistrement chez Ramée, consacré aux Psaumes de David de Claude Le Jeune (1532) puis un deuxième qui s’attelait avec génie à défendre la musique de Paschal de L'Estocart (vers 1537-1587), les sept voix de Ludus Modalis, parfois accompagnées par le clavecin de Freddy Eichelberger, à d’autres moments a cappella, poursuivent pour le même label leur précieuse promenade Renaissance à travers cette livraison d’exquise facture que nous n’hésitons pas un instant à saluer d’une Anaclase!. Le parcours poétique s’aère de quelques pièces strictement instrumentales aux titres évocateurs – gracile Esprit doux de bonne nature, langueur intrusive de Las je n’yray plus, clarté d’Allez mes premieres amours ou encore danse aimable de Las je n’eusse jamais pensé dont la pudique tristesse laisse songeur.
Quel plaisir de découvrir la manière secrètement chantournée de ces duos, trios, quatuors, quintettes et même septuors vocaux dont le prétexte est tour à tour d’amour contrarié, de guerre, de dévotion, de galanterie et de plaisante obscénité ! Ainsi la frétillante gouaille paillarde de Grosse garce noire et tendre, conclue dans l’insolente dérision par un improbable « je l’épouserai demain ». Cette franche raillerie côtoie la subtile méditation amoureuse de l’aigre-doux Dialogue de l’homme et son cœur, la tendre ferveur de Sus debout, gentils pasteurs, chant de Noël en belle joie, la supplique sentimentale de Bouche qui n’a point de semblable et la philosophie courtoise de Toutes les nuitz. Dans l’ornementation finale d’Allons au vert boccage se révèle un érotisme torride, souriant répons aux brèves « coquineries » de Perrette disoit Jehan comme à l’énigmatique vœu de célibat de Puisque la loy. Un ton plus moral n’est pas exclu, avec le quintette J’ayme mon Dieu, qui dénonce la corruption du riche ou de celui qui le veut être, un Miserere exquisément dolent (Seigneur Dieu, ta pitié), etc.
Plus que l’entrain discrètement mélancolique de Mignonne allons voir si la Rose dont la strophe médiane décrit en grise austérité le travail du temps sur le minois de la belle (on devine la concupiscence du poète qui l’encourage à « cueillir sa jeunesse »…), la tendre nostalgie de Je plains le temps convainc définitivement du très haut niveau de cette galette, doctement commentée par la musicologue Isabelle His. Incontournable !
JO