Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
I due Foscari | Les deux Foscari

1 DVD TDK (2005)
DV-OPIDF
Giuseppe Verdi | I due Foscari

Opéra en trois actes au livret adapté par Francesco Maria Piave d'un drame de Byron (1821), I Due Foscari n'est ni la plus réputée, ni la plus défendue des œuvres de Verdi. On peut sans doute incriminer le court délai de gestation laissé par le nouveau directeur du Teatro dell'Argentina (quatre mois, répétitions comprises), soucieux d'ouvrir sa saison avec un inédit du compositeur qui, en mars 1844, venait de triompher avec Ernani. L'ouvrage, qui nourrira le futur Simon Boccanegra de 1857 [lire notre critique du DVD], est créé le 3 novembre et séduit la critique autant que le public. C'est dans les rouges et les ors du superbe Teatro di San Carlo de Naples, en novembre 2000, que nous le découvrons aujourd'hui.

À Venise, en 1457, le jeune Jacopo Foscari, exilé pour soupçon de meurtre, revient au pays malgré le jugement du Conseil des Dix. Doge de la ville, son père Francesco est contraint par le devoir à renvoyer hors les murs le seul fils qu'il lui reste. Sa femme Lucrezia se lamente de tant de sévérité, d'autant qu'on lui refuse de partir avec lui en emmenant leurs enfants. À l'heure où le doge s'informe d'un testament où un noble vénitien s'accuse du meurtre imputé à Jacopo, il est trop tard : celui-ci vient de rendre son dernier soupir sur l'embarcation qui s'éloignait. Porte-parole du Conseil et ennemi de la famille, Loredano en profite pour demande au vieil homme de renoncer à sa charge et triomphe quand Foscari, s'étant exécuté, s'effondre, brisé.

Le premier tableau nous annonce « silence, mystère, justice », mais c'est cette dernière qui finit par voler la vedette aux autres, par revenir en leitmotiv (avec la vengeance) tout au long de l'œuvre. Autant dire qu'il y a peu de surprises dans cet univers manichéen, destiné à faire tomber les larmes et les têtes – « dans des sujets qui sont tristes par nature, écrivit un jour Verdi, on finit toujours par se retrouver à la morgue ». Paradoxalement, le premier acte est conçu pour entretenir le suspens : on découvre un prisonnier qui s'affirme innocent, une femme qui cherche l'appui paternel, avant que soit livrées les charges qui pèsent contre lui. Mais passée la première heure, à moins de compter les coquilles de la traduction française, on s'ennuie ferme, car rien ne nous attache à ces personnages stéréotypés.

De plus, Werner Düggelin nous inflige une mise en scène frontale d'avant-guerre. Sur fond de décor peint à panneaux coulissants – derrière lesquels se tient le chœur –, les chanteurs, face au public, ne savent que faire de leur corps. Le pire est la scène de prison à l'Acte II, après la vision du spectre Carmagnola : Jacopo et Lucrezia mettent un tableau entier à se traîner dans les bras l'un de l'autre (quand le héros ne lui tourne pas le dos…), et l'étreinte paternelle de Francesco n'existe plus que dans le texte. Mieux vaut d'ailleurs ne pas être trop regardant à cet égard, puisqu'un des deux fils de Jacopo est une petite blonde à robe bleue… Le seul argument qui sauverait cette proposition serait que la froideur et l'absence d'effusion viennent dénoncer la meurtrissure des âmes éloignées par des conventions sociales, que le hiératisme de Lucrezia soit celui d'un coryphée monstrueux, exempt de compassion. Mais non, on est bien face à un laisser-aller général puisque même les danses du Carnaval se résument à de sinistres pas de deux.

Reste donc les morceaux de bravoure pour lesquels cet écrin a été vite bricolé. Créé pour un jeune soprano spinto, le rôle de Lucrezia est assumé par Alexandrina Pendatchanska ; si le trac est sensible sur un premier air redoutable, la suite confirme le manque de stabilité et de place d'une voix certes vaillante mais qui manque de souplesse et de nuances. Son chant ravira sans doute les amateurs de tour de force, mais alors, ne parlons plus d'art lyrique. Plus souple que sa consœur, Vincenzo La Scola (Jacopo) nous comble par des aigus faciles et légers, la couleur de son timbre. Quant à Leo Nucci (Francesco), son chant est sonore quoique moins projeté dans les pianissimi. Des trois, il a le jeu le plus expressif, voire expressionniste lors du tableau de l'abdication. Le chœur féminin est moins hésitant que celui des hommes. Enfin, avec tonicité et nuances, débonnaire mais attentif, Nello Santi conduit une lecture claire, un peu sèche de l'orchestre qu'il sait mettre en retrait des chanteurs.

LB